Comités de locataires, mode d’emploi
Les 52, 54 (rénovés, à gauche), 60 et 90 (à droite) galerie de l’Arlequin, en mars 2021. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Les initiatives de création de comités de locataires se multiplient dans le quartier. Utiles mais différents dans leur fonctionnement, ils sont un bon outil de participation des habitants à la vie démocratique.

« Beaucoup de locataires de la montée ont reçu ce papier vert : le message C’est « Payez, sinon c’est l’expulsion » ! Une voisine est partie emprunter de l’argent pour payer l’augmentation des charges… » Dans une salle de réunion place des Géants, Rachid Benmechta, locataire du 50 place des Géants et membre du comité de locataires de l’immeuble, raconte la mésaventure dont sont victimes les habitants : une augmentation des charges de leur bailleur social Actis (690 € de plus pour M. Benmechta). En cause, la non-installation de compteurs communicants Ocea, équivalents des compteurs Linky pour l’eau. Pour les locataires non-équipé·e·s, Actis a décidé d’appliquer un forfait, assez salé, de consommation. Les charges de provision de M. Benmechta ont ainsi explosé : 77 % d’augmentation pour l’eau chaude et 127 % d’augmentation pour l’eau froide ! Autour de la table, les conseils d’autres comités de locataires fusent.

Créer son comité
— Soit le comité est une association classique, avec un bureau (président et trésorier, pour rappel les étrangers ont le même droit d’association que les Français), avec des statuts déposés en préfecture. Pour pouvoir représenter les locataires, l’association doit : soit réunir plus de 10 % des locataires ; soit être affiliée à une association nationale de locataires représentative (une vingtaine, par exemple à Grenoble : AFOC, CGL, CLCV, CNL, CSF, DAL, Indecosa-CGT).
— Soit le comité est un groupement d’habitants : il n’y a pas de statuts à déposer mais il doit être, en théorie, affilié à une des cinq associations de locataires siégeant à la Commission nationale de concertation (AFOC, CGL, CLCV, CNL, CSF). Dans les faits, il suffit qu’il soit affilié à toute association de locataires nationale pour être reconnu.
Dans les deux cas, association ou groupement, il faut envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception auprès du bailleur (et du syndic dans les copros) pour désigner trois représentants.

Une réponse collective à cette augmentation se fera à travers le comité de locataires, créé en octobre 2020 (lire l’article Au 50 placedes Géants, des locataires mobilisés). Ces groupes d’habitants, d’un immeuble ou de plusieurs immeubles, se constituent pour améliorer leur environnement, les logements mais aussi leur quartier. Leur création est assez encadrée (lire ci-contre).

À la base de la création des comités de locataires, souvent une demande primordiale : le contrôle des charges. « Le début de notre collectif, c’était des discussions entre habitants pour mieux contrôler les dépenses, demander les factures de consommation par exemple. », raconte Virgile Gavillet, membre du comité des résidents du 10-20 Arlequin, affilié au Droit au logement (DAL). « Le bailleur n’est pas capable d’expliquer en quoi consistent les charges de chauffage. Ils disent : « C’est trop compliqué ! » Alors que clairement, il y a eu des escroqueries, ils facturaient 90 000 € de fuites par an ! En face, le discours du bailleur c’est : « Si vous ne payez pas, on vous expulse ! » Ils se le permettent parce que les locataires ne s’occupent pas de leurs charges… »

Au-delà des charges, les comités créent un rapport de force avec les bailleurs pour l’amélioration du cadre de vie des locataires. « Les bailleurs font forcément moins d’entretien quand il n’y a pas de contrôle de la part des habitants. », explique Virgile Gavillet. « Les premiers concernés sont ceux qui habitent l’immeuble. Ce sont les mieux placés pour pointer les dysfonctionnements. », rappellent Annie Giroud et Marie-France Gorius, de l’antenne villeneuvoise de la Confédération syndicale des familles (CSF), une association de locataires nationale. Les comités peuvent faire de la médiation entre locataires et bailleurs. « Depuis la création de l’association en 2006, tous les deux mois, on organise une réunion entre l’association et notre bailleur, la SDH, sur la vie du 30-40, afin de parler des problèmes du quotidien. », détaille Ariane Béranger, de l’association des habitants du 30-40 [Arlequin].

Les comités de locataires prennent tout leur sens lors des opérations de rénovation urbaine, comme une réhabilitation ou une démolition. Ils sont ainsi chargés de négocier les chartes de relogement avec les bailleurs. « Après l’annonce de la démolition du 20 par la mairie, il y a eu un refus catégorique, de la part des habitants du 10-20, de démolir l’immeuble. Le comité a fait des propositions alternatives, avec une réhabilitation moins chère [que celle calculée par le bailleur SCIC Habitat] », se souvient Virgile Gavillet. Sans succès. Les locataires du 10-20 (191 logements) se comptent maintenant sur les doigts d’une main. D’autres rapports de force sont plus heureux, comme après la longue réhabilitation du 40 galerie de l’Arlequin, en 2017 : la SDH, qui voulait augmenter les loyers de 10 %, avait fini par limiter à 7 % après une mobilisation de l’association des habitants du 30-40.

Carte des comités de locataires et associations d’habitants à la Villeneuve. (carte : Le Crieur de la Villeneuve, fond de carte : Géoportail)

Autre rôle des comités : créer du lien entre habitants, en partant d’eux. « Depuis le début notre association est basée sur des relais de coursives, un par coursive. Relais dans les deux sens, c’est-à-dire l’association les informe et eux transmettent aux locataires de la coursive, les gens disent ce qui va, ce qui ne va pas, font des propositions qui remontent à la SDH via l’association. C’est une bataille permanente de partir de la vie des coursives pour aller vers le bailleur. », explique Ariane Béranger. « On fait aussi pas mal de choses pour mobiliser les gens : la fête des voisins, des rencontres de coursives, des formations aux premiers secours. On est en lien avec l’association Previsc qui fait de la prévention incendie, ce qui nous permet de mener beaucoup d’actions avec les pompiers, comme la tournée annuelle de vente de leur calendrier. »

Bien souvent, les comités sont affiliés à des associations nationales. « Un comité de locataires, quand il n’est pas lié à une association, est très dur à faire vivre. », témoigne Annie Giroud. Les associations de locataires nationales disposent de salariés capables d’accompagner les comités de locataires dans leurs démarches ou de dispenser des formations aux locataires. Elles permettent les échanges avec d’autres groupes de locataires chez le même bailleur et peuvent disposer de représentants dans les conseils d’administration des bailleurs sociaux, ce qui permet d’appuyer les démarches des locataires.

Historiquement, la CSF est bien implantée à la Villeneuve. « La CSF existe à Villeneuve depuis avant même la construction du quartier, raconte Annie Giroud, elle a participé à la réflexion sur le projet éducatif du quartier. » Les associations nationales de locataires se sont réparties les différents quartiers de l’agglomération grenobloise. « Il y avait tellement de travail, ce n’était pas la peine d’être les uns sur les autres. Par exemple, historiquement, à Échirolles, c’est la CNL, sauf l’allée du Gâtinais où c’est la CSF. » Depuis quelques années, de nouveaux arrivants comme le DAL ou l’Alliance citoyenne, bousculent un peu le jeu. Mais les associations de locataires entretiennent des relations plutôt cordiales entre elles. Les mobilisations de locataires ne sont pas récentes dans le quartier, telle cette emblématique lutte pour… l’installation de volets, en 1973 : « Lors de la construction de l’Arlequin, les appartements classés HLM n’avaient pas de volets aux fenêtres. Il y a eu un mouvement spontané de grève des charges pour la pose de volets. En quelques mois, on a gagné et des volets ont été installés dans tous les appartements. », se souvient Ariane Béranger.

Malgré le besoin, les comités de locataires ne sont pas si nombreux dans le quartier. En novembre 2019, un mois après le référendum, le collectif RIC Arlequin a ainsi proposé la création de comités de locataires dans toutes les montées du quartier. La CSF a fait un porte-à-porte au 140 galerie de l’Arlequin en février 2021 pour aller à la rencontre des locataires.

Plus étonnant, la mairie aussi s’en mêle. Après le premier confinement, la MDH des Baladins a ainsi organisé un porte-à-porte au 30 place des Géants. « Notre objectif, c’est d’organiser des comités de locataires. En tant que MDH, ce n’est pas notre cœur de métier. », concède la direction de territoire du secteur 6 (quartiers Villeneuve, Village Olympique et Vigny-Musset). « L’idée, c’est que plus tu as d’interlocuteurs, plus les discussions sont intéressantes. » Une action menée avec notamment… le bailleur social Actis. « C’est un peu comme si un patron créait un syndicat dans son entreprise… », s’étonne Marie-France Gorius. Par refus de la « politique de la chaise vide », la CSF a participé à l’action : « C’était gentillet mais j’étais hallucinée par la naïveté des agents de la ville sur ces questions… », dit Annie Giroud.

Enjeu démocratique, les comités permettent aux habitants de s’exprimer. « Les habitants sont dégoûtés par la politique. Mais ils ont une relation de confiance avec l’association car on est nous-mêmes habitants. C’est une vision démocratique intéressante de la participation des habitants. », analyse Virgile Gavillet. Des comités utiles quand les bailleurs s’éloignent des locataires : « Le bailleur a un esprit d’entreprise. On n’est plus des locataires, on est des clients. C’est une forme de déshumanisation. », dit Ariane Béranger. Des locataires restent attachés à leur quartier : « On tente de redonner de la couleur à la Villeneuve », résume Saiah Boualem, du comité de locataires du 110 Arlequin.

Mise à jour du 30 avril 2021 : modification de l’encadré « Créer son comité », avec ajout du cas pratique du groupement de locataires.