La grande désillusion des commerces
En bas du 100 galerie de l’Arlequin, sur la place du marché, emplacement de trois commerces démolis, dont la boulangerie, qui doit accueillir de nouveaux locaux commerciaux. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

En janvier 2019, Le Crieur avait interviewé les commerçants de la place du marché sur les futurs travaux des locaux commerciaux. La fin du chantier était prévue pour « début 2023 ». Nous y sommes et, sans surprise, il y a du retard. Certains travaux n’ont même pas commencé… Des commerçants lâchent l’affaire.

Un grand trou béant à travers la galerie, dans lequel s’engouffre le vent. Ici, sur la place du marché, aurait déjà dû s’élever une boulangerie et un bureau de tabac. Il n’en est rien.

Julien, un client, dans le bureau de tabac Le Yaz, qui devrait prochainement fermer ses portes. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

La place du marché de l’Arlequin subit une restructuration depuis plusieurs années (lire les articles Les commerçants recherchent leur place (janvier 2019) ; L’au revoir aux boulangères (décembre 2021) et Commerces, quand t’es dans le désert (février 2022)). Mais les commerces baissent leur rideau un à un. « On a renoncé à rester, on pense fermer en juin… » explique Mourad Bouteldja, le patron du bureau de tabac le Yaz, lassé d’attendre le début des travaux de son nouveau local commercial. « Déjà, on a arrêté de vendre la presse en janvier, puisque l’abonnement pour la vente se fait sur une année civile. En même temps, ça ne rapportait pas beaucoup. On fait dix fois plus avec les bonbons ! » La place du marché pourrait donc perdre bientôt son dernier commerce.

La boulangerie du quartier a fermé fin 2021, provoquant de vives protestations de la part des habitants. À l’époque, la Ville et la Métro assuraient que la nouvelle boulangerie et le nouveau local du bureau de tabac ouvriraient en janvier 2023. Mais les travaux n’ont toujours pas commencés. Les institutions parlent désormais d’une ouverture en septembre 2024. Une partie de ce retard s’explique par la difficulté de trouver des entreprises du BTP qui acceptent de venir travailler à la Villeneuve. Début avril, la Métro a voté, au terme d’un débat animé, une augmentation du budget des travaux, notamment de sécurisation des chantiers. La même délibération doit également être votée en conseil municipal le 15 mai prochain.

Quels futurs commerces pour la place ?
Le projet de restructuration commerciale de la place du marché de l’Arlequin prévoit trois nouveaux commerces : en bas de l’aile sud du 110 galerie de l’Arlequin, une boulangerie et un autre local, initialement prévu pour accueillir le bureau de tabac mais désormais en attente d’affectation ; en bas du 100 galerie de l’Arlequin, un local commercial pour la fondation Boissel (qui gère le restaurant d’insertion L’Arbre fruité), qui regrouperait l’Arbre fruité, actuellement installé au 80 galerie de l’Arlequin, et une épicerie, pompeusement renommée « espace multiservices alimentaires ». En 2018, le projet, estimé à 2,7 M€, prévoyait la reconstruction de cinq commerces pour 1100 m² de surface, avec une fin des travaux mi-2023. Aujourd’hui, il a été réduit à 800 m², pour trois commerces, tandis que son coût augmentait à plus de 5 M€.

Ces retards pénalisent habitants et commerçants et rendent la place du marché morose. « Le quartier est un champ de mines, la clientèle a déserté la place. On est en train de mourir. Financièrement et commercialement, ce n’est plus viable. Une grande partie de la clientèle a pris l’habitude d’aller ailleurs, ça sera difficile de faire revenir les clients sur la place du marché. », raconte M. Bouteldja. L’attractivité des commerces étant décuplée par leur nombre, moins de commerces veut dire moins de clients. Hamouda Seoud, le primeur présent six jours sur sept dans le quartier, est lui aussi dépité : « Tout est fermé autour. Il n’y a que moi comme un c.. au milieu de la place du marché… »

À l’intérieur du taxiphone de l’Arlequin, au 110 galerie de l’Arlequin. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Au taxiphone-épicerie du 110 galerie de l’Arlequin, c’est un flot incessant de clients venus faire des photocopies, des impressions ou des petits achats. Ce commerce de proximité tourne bien mais pour son avenir est inconnu. « C’est le grand flou total, explique Tarek, un des deux gérants. On ne sait pas si la Métro va nous reloger. » Le local qu’il occupe est censé être démoli mais aucune date n’est avancée. Il appartenait à un propriétaire privé mais a été exproprié au profit de la Métro. « On n’a même pas été prévenus du transfert de propriété. Pendant six mois, on n’a pas su à qui on devait payer le loyer… »

Des commerces à l’abandon

Les démolitions des commerces désaffectés ont sérieusement perturbé le fonctionnement des commerces subsistants. Le chantier en face du taxiphone, non-barricadé, est squatté. « Début 2023, quand ils ont démoli le local juste à côté, ils ont creusé un gros trou sous notre local, qu’ils ont laissé pendant un mois. C’était dangereux et ça donnait une sale image, les clients avaient même peur de rentrer dans la boutique ! Ils font ça à la Villeneuve mais jamais ils ne feraient ça place Grenette ! N’importe qui d’autre serait déjà parti, mais nous on reste, parce qu’on est du quartier. »

Le camion de nettoyage censé laver la galerie ne passe plus. M. Bouteljda s’est gracieusement vu offrir un balai pour nettoyer la galerie – publique – devant son commerce. La Ville de Grenoble est bien bonne ! Même son de cloche en bas du 110. « Nous nettoyons nous-mêmes la galerie, explique Tarek. Des fois, ce sont les jeunes, ceux qui se posent devant à boire des canettes, qui le font. Je suis à deux doigts d’acheter un karcher. Je le ferais si je savais qu’on ne fermerait pas dans deux mois. »

De l’autre côté du quartier, la situation n’est pas plus fameuse. La boucherie-épicerie de la place des Géants a fermé en avril (un livre d’or à destination du boucher Ahmed Achelhi est disponible à l’accueil de la MDH des Baladins). Un repreneur serait toutefois sur les rangs. Sollicitée par Le Crieur, la Métro n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.