Joyau du quartier, le parc de la Villeneuve, renommé parc Jean Verlhac en 1998, est le centre du quartier. Lieu de rencontre, de jeu, refuge contre la chaleur en été, les usages du plus grand parc de Grenoble (presque 17 hectares, sans compter son prolongement le parc La Bruyère) sont multiples. La plus grande partie fut terminée en 1973, juste avant l’arrivée de Jean-Paul Cugno, habitant et jardinier qui fut responsable des espaces verts pour la Villeneuve pendant près de 30 ans. Le Crieur vous invite à un tour du parc en sa compagnie, à la rencontre de ses arbres emblématiques et de l’esprit du paysagiste Michel Corajoud.
« Quand je suis arrivé en 1974, j’étais impressionné par ce parc. Il partait d’une volonté des élus de l’époque, en lien avec les urbanistes du quartier, de regrouper l’habitat pour dégager de la surface au sol, pour faire un parc d’une quinzaine d’hectares. C’était merveilleux ! Des quartiers nouveaux, on en connaissait partout, mais les espaces verts n’étaient aménagés qu’autour. Dans le milieu des paysagistes, ça faisait râler : quand les architectes bâtiment s’étaient exprimés, il ne restait que deux trois bouts de terrain pour les paysagistes. Je caricature un peu, mais c’était l’esprit. Un parc au centre, c’était révolutionnaire ! C’est un des derniers grands ensembles construits en France, mais il dissonait complètement avec les autres.
« La Ville avait créé un poste de technicien pour suivre la fin de l’aménagement du parc de la Villeneuve, au titre du service d’entretien des espaces verts. C’est pour cela que j’ai été recruté en 1974. Quand je suis arrivé, le parc n’était pas tout à fait terminé. Le lac était à peine fini. L’architecte-paysagiste Michel Corajoud, le concepteur du parc de la Villeneuve, avait déjà une renommée, du prestige. Je me disais que j’avais de la chance de côtoyer un gars comme ça. Une pointure, plein d’idées, hyper dynamique ! Je ne le voyais pas à chaque fois, à la fin de l’aménagement du parc, il ne devait venir que tous les deux mois, pour les ajustements. J’ai dû avoir une dizaine de séances de travail avec lui.
« Dans leur passion, les architectes-paysagistes proposaient des choses mais nous, les jardiniers, derrière, on n’avait pas les moyens d’entretenir tout ça. C’est normal, l’architecte, qu’il soit bâtiment ou paysagiste, est un créateur, un artiste. Nous, on était un peu les empêcheurs de tourner en rond, alors que les projets nous plaisaient ! Par exemple : les buttes, c’est très sympathique mais pour l’entretien, la tonte, c’était infernal ! On devait travailler avec du matériel d’agriculture de montagne.
« Mon travail a beaucoup été marqué par les réflexions des habitants, notamment les unions de quartier, mais aussi les copropriétés. On ne faisait pas de plans, surtout des discussions. L’achat de végétaux se faisait sur le budget le fonctionnement de la Ville. Au service entretien des espaces verts, on faisait des petites modifications, lors des travaux d’hiver, en interne, par exemple planter cinq arbres à un endroit. Dans les quartiers sud [de Grenoble], il y avait cinq ou six équipes : Villeneuve parc, Malherbe, Village Olympique, deux pour les extérieurs de la Villeneuve. Environ 30-40 personnes en tout.
« Parfois, je me suis pris des volées de bois vert parce que je modifiais l’esprit initial du parc. Ce que j’ai toujours dit, c’est que les jardins sont quelque chose de vivant. Déjà parce que les végétaux eux-mêmes le sont, mais aussi parce que les gens veulent des choses différentes, il y a des modes, chacun a sa petite touche. Je me suis beaucoup inspiré des parcs de la fin du 19e siècle, avec des grands arbres.
« Je ne sais pas si c’est le plus beau parc de Grenoble, mais c’est celui qui a le plus de personnalité. Notamment grâce aux buttes. Les enfants jouent dessus, se cachent. C’est une idée géniale, uniquement avec des formes douces. On dirait des volcans éteints d’Auvergne. C’est le parc le plus original ! »
1 La façade du 10 galerie de l’Arlequin
« Cette façade était complètement nue. J’ai fait planter des séquoias. Ce n’est pas dans l’esprit de départ, mais les séquoias ont un très grand développement. Ce bosquet casse la dureté de la façade. Les ginkgos aussi ont un très grand développement, avec un très beau feuillage d’automne. Ce sont des arbres qui vieillissent bien et qui résistent à la sécheresse.
« À l’origine, le sol ici est argileux, de la bonne terre. Mais pendant la construction, ils ont accumulé les déchets, les gravats. On a dû faire des grandes fosses d’arbres pour pouvoir planter.
« Deux des séquoias sont malheureusement malades, ils dépérissent. Il y a plein de causes possibles, mais les voir dépérir me crève le cœur… »
2 Le peuplier noir de la crique nord
« Celui-là c’est le Vénérable. C’est un ancêtre, c’est un peuplier noir qui était déjà là avant la création du parc [plusieurs photos de cet arbre sont à retrouver dans le n° 76 du Crieur de novembre 2023, ndlr]. Quand je suis arrivé en 1974, j’avais la trouille qu’il ne meure, car le tronc avait été enterré, avec un remblai d’un mètre. Mais il s’en est remis. On pourrait aussi l’appeler le miraculé. Des arbres comme cela, ce sont des monuments végétaux. Il a été témoin de tellement de choses, quand il y avait encore l’aéroport. À mon avis, il a sûrement cent ans, mais on a tendance à surestimer l’âge des arbres urbains. »
3 L’allée des Tilleuls
« Ici, un grand mail de tilleuls argentés avait été planté. Mais ça n’allait pas, ça ne poussait pas. Il y en a même qui crevaient. Il y avait un problème. On a fait un sondage du sol et on a eu l’explication tout de suite : on est tombé sur une zone complètement compactée. En se renseignant auprès d’architectes de la Ville, on a appris que, pendant la construction de l’Arlequin, c’était une voie de chantier pour les camions. On a tout arraché. C’était un chantier d’ampleur, il a fallu obtenir de l’argent. On a loué une grosse pelle mécanique avec un godet preneur. On a fait des grands trous pour passer à travers l’argile. On a rechargé avec des matériaux drainants et on a replanté avec de magnifiques sujets, la même espèce. Et c’est parti ! Quand on voit l’allée des Tilleuls, ça fait plaisir, on se dit qu’on a pas travaillé pour rien !
« Ici, au milieu du mail, il y avait un peuplier d’Italie, très éructé. Mais les peupliers d’Italie ne vivent pas très vieux et il a dépéri. Pour Corajoud, il dissonait dans son mail, mais il a eu l’intelligence de le garder. »
4 Au pied de la butte du grand toboggan
« Ces platanes, c’est moi qui les ai fait planter. Je m’étais fait remonter les bretelles. On me disait : « Mais il y en a partout en ville ! » Non, il y en a partout en ville mais en alignement, martyrisés, tondus, taillés, massacrés. Pour ceux-là, je me suis inspiré des villages de Provence et du jardin de ville, avec des grands arbres, peu taillés. Je ne sais pas si Corajoud les a vus, mais pour lui, les platanes, c’était le truc ringard. Lui, c’était le créateur, il faut le respecter. Mais l’œuvre, le jardin, doit évoluer. »
5 Le nord-est du parc
« Pour les jardiniers, c’est « la grande partie ». Là, à part quelques arbres qui datent d’avant le parc [voir Crieur n° 76, ndlr], des vieux saules et des peupliers, c’était une grande plaine dégagée. Les habitants me disaient que ça manquait d’arbres. On a planté des hêtres classiques. Je me disais que si on pouvait donner aux générations futures des grands arbres, autres que les peupliers. Avec un bémol : on ne savait pas à l’époque – enfin, on le savait mais on ne pensait pas que ça [jouerait autant] – que les hêtres souffrent du dérèglement climatique. Les hêtres n’aiment pas les étés chauds.
« Pour éviter le côté « vieille France », je n’avais pas proposé des hêtres pourpres, qui sont pourtant très appréciés. Pareil pour les conifères qui ont été plantés, ça faisait ringard. Il n’en reste pas moins qu’ils sont jolis et qu’on peut les intégrer dans les parcs modernes.
« Corajoud n’a jamais habité ici, moi si. Quand je voyais en été les gens qui recherchaient de l’ombre, ça m’interpellait. Il y a les grands plans, mais il y aussi le vécu. À l’époque, je n’imaginais pas que les choses allaient virer comme ça, même si les étés grenoblois étaient déjà pénibles en terme de sécheresse. On ne parlait pas des îlots de fraîcheur, mais le terme est bien. »
Le parc, Corajoud et les autres
Le parc de la Villeneuve se présente avec une épine dorsale nord-sud, formée d’originellement huit buttes. Numérotées de 1 à 8 en partant du sud (la butte 4, ou B4, étant ainsi celle du grand toboggan), les deux plus septentrionales ont été arasées pour construire le nouveau collège.
Deux grands mails plantés d’arbres, dont l’allée des Tilleuls, se rejoignent à angle droit au niveau de la plus grande butte. La géométrie très droite de ces grands mails, au niveau du sol, se superpose aux formes créées par les buttes, presque sans en tenir compte. Ainsi, les deux mails ne se rejoignent pas au sommet d’une butte mais un peu plus bas. Le parc est complété par une place centrale, la place Rouge, par des jeux pour enfants et par un lac artificiel.
Comme le reste du quartier, il fut aménagé par tranches. La majeure partie, à l’ouest du chemin du parc, le fut ainsi de 1971 (construction des premières buttes avec le remblai des bâtiments) à 1973 (mise en service du lac). Les derniers aménagements, côté Baladins-Géants, le furent en 1982 mais le parc avait déjà subi des transformations à cette date. Il fut dessiné par des membres de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA), en particulier le paysagiste Michel Corajoud. Des études de l’Agence d’urbanisme aidèrent à son dimensionnement et à définir les usages, tandis que la volonté des élus de la Ville, le maire Hubert Dubedout en tête, aboutit à un espace très végétal. Le parc aurait ainsi dû accueillir de nombreux terrains de sport mais ceux-ci furent relégués en bordure pour ne pas le surcharger.
Dans la revue Espaces verts, en 1970, alors que les travaux de l’Arlequin venaient à peine de commencer, Michel Corajoud écrivait : « Le parc sera encadré. Pour augmenter le sentiment de son étendue, il fallait en estomper le cadre. […] Pour cela, deux moyens seront utilisés : le premier consiste à noyer le pied des bâtiments dans une masse d’arbres plantés très serrés ; ces arbres vont créer une frontière floue et mouvante qui adoucira les bords du parc ; au centre, en modelant le sol avec des buttes artificielles, on créera, par ce second moyen, en premiers plans, des écrans. Écrans qui donneront des vues toujours changeantes, au piéton, soit qu’il se trouve au pied, sur, ou entre deux buttes. Il jugera ainsi l’étendue de son parc de différentes manières. Il n’aura plus que très rarement la possibilité de le voir dans son entier. Ces buttes offrent l’avantage d’agrandir sensiblement le parc. »
« Le rôle du paysagiste n’est pas de contredire l’urbanité volontaire en ponctuant la ville d’îlots de « fausse vraie nature ». Il doit, avec des matériaux propres à l’urbain, recréer de toutes pièces un cadre qui, par référence, donne à la ville des capacités émotives identiques à celles rencontrées dans la nature. La ville est un paysage en soi, nouvelle nature qui porte en elle des valeurs d’échange et de spectacle comparable à celles des sites naturels. »
Le parc de la Villeneuve a un petit frère : le parc des Coudrays à Élancourt-Maurepas (Yvelines), lui aussi dessiné par l’AUA, dont Corajoud, à partir de 1970. Bien que deux fois plus petit, il s’inspire directement de celui de la Villeneuve : buttes, place centrale, bassin, amphithéâtre.
Le parc de la Villeneuve
Maîtrise d’ouvrage : Société générale d’entreprises (Paris), pour le gros œuvre, et paysagiste Fernand Marie (Grand-Quevilly (76)), pour les plantations.
Maîtrise d’œuvre : Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA, Bagnolet (93)), plus particulièrement le groupe CCH (Michel Corajoud, Henri Ciriani, Borja Huidobro). La plupart des membres de l’AUA habitant en région parisienne, le projet fut suivi à Grenoble par Vincent Sabatier.