Les pompiers font la tournée de la barre
En association avec des habitants du quartier, les pompiers ont fait le tour de la galerie de l’Arlequin pour vendre leur calendrier. (Photo : BB)

Depuis trois ans, des habitants de la Villeneuve accompagnent les pompiers lors de leur tournée de vente des calendriers. Les seconds découvrent le quartier, les premiers rencontrent leurs voisins. Tranches de vie de la galerie de l’Arlequin.

« Bonjour, c’est les pompiers, on vient pour les calendriers. » Les montées du 50 galerie de l’Arlequin se suivent et se ressemblent : ça sonne, ça tambourine à la porte et ça ne répond pas toujours. En ce mois de décembre 2014, les pompiers vendent leur almanach – garanti sans chatons en photo – au profit de l’amicale de leur caserne.

Retour quelques heures plus tôt. 10 h 30, deux compagnies de pompiers s’entassent dans le petit local de l’association de la Crique sud. Certains viennent de la caserne de Saint-Martin-d’Hères, d’autres de celles de Grenoble et de Seyssinet-Pariset. Pour la troisième année consécutive, les associations de la Crique sud et des habitants du 30-40 de l’Arlequin organise une tournée commune entre habitants de la Villeneuve et pompiers.

Pompier égaré

Tout part d’un constat : les pompiers connaissent parfois mal le quartier, en particulier la galerie de l’Arlequin et ses immenses coursives. Ariane Béranger, une des organisatrices, explique : « Là c’est sympa, on peut discuter de tout et de rien avec les pompiers, d’habitude c’est toujours en stress qu’on les voit. »

Le café brûlant avalé, la répartition des montées peut commencer. J’hérite du 50 et du 60 galerie de l’Arlequin, deux cents logements au bas mot. J’accompagne Vanessa, pompière à Saint-Martin-d’Hères et Frédéric, pompier à Grenoble. Elle connaît bien la Villeneuve pour y avoir habité et pour y faire régulièrement des interventions. Lui y met les pieds pour la première fois.

Direction le 50. Peu d’habitants ouvrent. Surtout que nombre d’appartements sont inoccupés, suite au relogement d’une partie des locataires à cause des travaux de démolition d’une aile du bâtiment. Symbole de la rénovation urbaine promue par l’ancienne majorité, tout un pan du 50 a en effet été démoli l’année dernière.

Selon les plans des urbanistes et de la mairie, cette destruction « ouvrait le quartier et cassait la muraille de l’Arlequin ». En attendant, les murs maintenant à découvert prennent l’humidité. Vanessa reconnaît d’ailleurs les lieux : « – On vient souvent par ici pour des problèmes d’infiltration d’eau. – D’eau d’où ? – D’eau du toit, du plafond, des murs. »

« Ah, un paillasson, il doit y avoir du monde ! »

Plusieurs portes closes. Certains donnent, « parce que vous faîtes des bonnes choses quand même » (les pompiers ne relèvent pas le « quand même »), d’autres ne comprennent pas trop le principe : « C’est les pompiers de l’Isère, ou je sais pas quoi… »

Beaucoup de gens absents ou de logements inoccupés, mais la totalité des calendriers a été vendue. (photo : BB)

Beaucoup de gens absents ou de logements inoccupés, mais la totalité des calendriers a été vendue. (photo : BB)

Un peu de découragement ? « Certains quartiers répondent moins que d’autres. », raconte Frédéric. « Le pire, c’est le centre-ville, tous les immeubles ont des digicodes. On a les clés des facteurs, mais ça ne marche qu’une fois sur deux. D’ailleurs c’est problématique quand on est en intervention… »

À la fenêtre d’un couloir, un tigre en peluche abandonné regarde les passants. « J’avais fait une intervention comme ça une fois. », se souvient le pompier. « On nous avait appelé pour un tigre en liberté. On y a été, c’était un tigre en peluche ! Personne n’avait osé approcher avant qu’on arrive. »

Le facteur n’est pas passé

Un homme, la cinquantaine, ouvre, mi-déçu de voir les pompiers : « Je croyais que c’était le facteur. J’attends un recommandé. » Après avoir acheter un calendrier, il explique : « Les facteurs ne viennent plus sonner pour remettre les recommandés. Ils ont peur de laisser leur vélo en bas trop longtemps. Je bossais dans une entreprise de nettoyage. Mon patron m’a envoyé une lettre recommandée pour un entretien préalable à mon licenciement, mais le facteur ne me l’a jamais remise. Du coup je ne savais pas que la procédure avait été lancée, alors j’ai continué de travailler comme si de rien n’était. J’ai 59 ans, ça fait un coup de se faire virer juste avant la retraite… »

Les pompiers de Grenoble, Saint-Martin-d'Hères et Seyssinet-Pariset avec les habitants qui les ont accompagnés lors de leur tournée. (photo : BB)

Les pompiers de Grenoble, Saint-Martin-d’Hères et Seyssinet-Pariset avec les habitants qui les ont accompagnés lors de leur tournée. (photo : BB)

Il détaille les raisons de son licenciement : « Les griefs se sont accumulés. Je nettoyais à l’intérieur des immeubles, les gens n’étaient jamais contents. Dès que les escaliers ou les couloirs étaient sales, les gens faisaient des réclamations. » Avant de lancer, assez aigre, « surtout que j’ai dû former mon successeur avant de partir. Mais ce n’est pas la première fois que mon patron fait ce coup-là. » Il assure qu’il va aller aux prud’hommes.

Vers midi, l’heure est au bilan de la matinée. Frédéric fait les comptes : « À deux, on en a vendu 50 en deux heures. On est dans la moyenne ! » Les pompiers l’ont promis, ils reviendront en décembre 2015.