La place Rouge renommée place Nibia Sabalsagaray Curutchet – place Rouge
La place Rouge, lors d’un événement en septembre 2020. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Ce lundi 26 juin, le conseil municipal de Grenoble devrait voter la nouvelle dénomination de la place Rouge : place Nibia Sabalsagaray Curutchet – place Rouge. L’inauguration doit avoir lieu le lendemain.

Moscou et la Villeneuve ont un point commun : celui d’avoir une place Rouge. Celle de Moscou devrait garder son nom encore quelques temps, celle de Villeneuve a failli perdre le sien. La mairie de Grenoble a décidé de renommer le lieu place Nibia Sabalsagaray Curutchet – place Rouge, du nom d’une militante communiste uruguayenne tuée par la dictature en Uruguay en 1974.

Invitation pour l’inauguration de la place reçue le 22 juin.

La nouvelle a provoqué un petit séisme dans le quartier. Dans un premier temps, l’invitation pour l’inauguration du nouveau nom de la place, mardi 27 juin, mentionnait « ex place Rouge », laissant entendre que la place allait perdre son nom historique. De quoi faire bondir le cœur de nombreux habitants, attachés à cette dénomination. De son côté, la mairie plaide une erreur dans la rédaction de l’invitation : « la place portera les deux noms : Nibia Sabalsagaray et place Rouge, explique Emmanuel Carroz, adjoint à la Mémoire, aux Migrations et aux Coopérations internationales, comme le Jardin des plantes – Joséphine Baker. Il s’agit d’une officialisation du nom place Rouge. » De fait, la délibération mentionne bien le nom place Rouge accolé à celui de Nibia Sabalsagaray Curutchet. En revanche, la mairie ne doit vraiment pas avoir de chance puisque le déroulement protocolaire ne mentionne pas non plus le nom « place Rouge ».

Place Rouge n’est pas une dénomination officielle. La place n’a jamais été nommée officiellement par la Ville, même si elle utilise le nom dans différents documents municipaux. Le nom place Rouge a été donné à cette place, au cœur du quartier et où sont organisés de nombreux rassemblements, par les habitants du quartier il y a plusieurs décennies (en tout cas de façon sûre depuis au moins 1977) en référence aux briques qui pavaient le sol.

Le centre du parc de la Villeneuve, vers 1973. La place Rouge est en haut à droite. (AMMG, 15 FI 139).

Au-delà, de cette erreur, c’est l’absence de concertation avec les habitants qui en irritent certains. Une absence de concertation reconnue par Emmanuel Carroz qui préfère mettre en avant le travail avec les associations latino-américaines de commémoration des dictatures pour nommer différents lieux de la ville. Le choix de la Villeneuve n’est en tout cas pas aberrant. Le quartier a accueilli de nombreux réfugiés sud-américains, notamment chiliens, après les différents coups d’État des années 70. Alertées par des habitants du quartier, deux des associations qui travaillent sur le sujet avec la mairie, Acip Asado et ¿ Dónde Están ?, ont réagi. « Le fait que [le renommage] se fasse sans concertation, ni accord des habitants n’est pas tolérable. » écrit ainsi un membre d’Acip Asado.

Samedi 24 juin, au début de la fête de quartier, Emmanuel Carroz et des membres des deux associations sont venus, chacun de leur propre initiative, pour éclaircir cette affaire. Une lettre de Marita Ferraro (qui prendra la parole lors de l’inauguration), une ancienne habitante, réfugiée politique uruguayenne, arrivée à la Villeneuve en 1982, a été lue : « Aujourd’hui il semblerait qu’un gros malentendu existe entre les habitants et leur mairie quant à la nomination de cette place avec le nom de Nibia. Alors que tout semble faire la paire : une place Rouge pour une militante communiste qui luttait pour la démocratie, pour la liberté, contre l’oppression, qui croyait en la construction d’un monde juste et solidaire et qui a été assassinée par une dictature fasciste. Et le fascisme, aujourd’hui, n’est pas loin, ici et ailleurs. À vous toutes et tous habitantes et habitants de la Villeneuve : Accueillez Nibia comme autrefois les habitants de ce quartier ont accueilli la détresse du monde. »

Reste que de nombreux habitants ont le sentiment que la décision de donner un nouveau nom à la place a été prise en catimini. Le vote au conseil municipal intervient ainsi le lundi 26 juin pour une inauguration le lendemain, mardi 27 juin, cinquante ans jour pour jour après le coup d’État en Uruguay. Surtout, la nouvelle est passée relativement inaperçue : l’invitation erronée n’a été reçue que par quelques habitants jeudi 22 juin et la plupart des techniciens de la Ville qui travaillent dans le quartier, dont le directeur de territoire, ne l’avaient pas encore reçue jeudi midi.

L’inauguration de la place aura lieu mardi 27 juin, à 19 heures, en présence de Jean-Paul Muchada, consul honoraire d’Uruguay à Lyon.