Les étrangers, laissés pour compte du vote
Les étrangers sont toujours exclus d’une partie de la vie politique, notamment lors des élections. (dessin : Seb Bak)

Les élections municipales, pour élire le nouveau ou la nouvelle maire de Grenoble, se tiendront en mars. Mais pour ce scrutin, une partie de la population ne pourra pas voter. Serpent de mer de la politique française, le droit de vote des étrangers tarde à se mettre en place. Le Crieur en a débattu avec trois habitants étrangers du quartier.

« Je suis né français, en Algérie, en 1941. Je ne le suis plus [depuis l’indépendance en 1962, ndlr]. Et je ne peux pas voter. On contribue à l’économie. Certains vivent en France depuis trois générations, ont des enfants et des petits-enfants qui peuvent voter, mais eux ne le peuvent toujours pas. », se désole Mohamed Boukhatem, un retraité, installé en France depuis 1963 (lire le portrait du Crieur écrit en 2016 : Vie de militant, entre France et Algérie).

Il est loin d’être le seul dans ce cas. Aux prochaines élections municipales, les plus locales qui soient, en mars, des centaines d’habitants du quartier ne pourront pas voter car étrangers « non-communautaires », c’est-à-dire non-nés dans un pays de l’Union européenne. « Je ne pourrai pas voter à ces élections. C’est compliqué à entendre, mon avis n’est pas considéré. Pas de carte, pas de parole… », constate Abdoul Aziz Sall, Sénégalais qui vit en France depuis 2012 et participe activement à la vie du quartier. « Le droit de vote devrait être mis en place. À partir du moment où on a un titre de séjour, un travail, on devrait pouvoir voter ! »

« Je ne suis qu’une étudiante de passage, mais c’est différent pour les personnes qui résident en France depuis plus longtemps, explique Ana Maria Sanchez Albarracin, une étudiante colombienne qui vit à Grenoble depuis quelques mois. Les politiques les touchent, les décisions des élus vont les affecter, c’est normal qu’ils puissent voter. »

Certains pays ont depuis longtemps accordé le droit de vote aux étrangers lors des élections municipales, comme l’Irlande en… 1963. Dans l’Union européenne, depuis 1992, les étrangers issus d’un autre pays de l’Union peuvent voter aux élections municipales, bien que la France ait attendu 2001 pour entériner cette décision. De quoi créer une inégalité entre étrangers : une Finlandaise récemment installée peut voter mais pas une Tunisienne qui vit en France depuis vingt ans.

L’absence de droit de vote se traduit par une exclusion des étrangers de la vie politique. « Le fait de ne pas pouvoir voter, ça ne donne pas envie de s’y intéresser. », explique Abdoul Aziz Sall. « Il y a quelques années, je suivais encore les élections mais là, ça ne m’intéresse plus. », complète Mohamed Boukhatem. Surtout, cette absence de droit de vote entraîne l’invisibilisation des étrangers car elle entraîne l’impossibilité d’être élu·e.

58 % des Français·es étaient en faveur du droit de vote des étrangers non-communautaires aux élections municipales. (sondage Harris, octobre 2018)

Pourtant, une majorité de Français·es (58 % selon le dernier sondage en date(1)) sont en faveur du droit de vote des étrangers. Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué en faisaient une condition sine qua non de la réforme de la politique de la Ville, dans leur rapport de 2013. Les partis de gauche, du Nouveau parti anticapitaliste aux Verts en passant par la France insoumise, y sont favorables. Le Parti socialiste et le Modem sont divisés sur la question, tandis que La République en marche n’a pas d’avis clair, bien qu’Emmanuel Macron s’y soit montré opposé en février 2019 (2).

Le blocage est politique et la question instrumentalisée. Déjà promesse de François Mitterrand en 1981, le droit de vote des étrangers a été remis à l’ordre du jour par François Hollande lors de l’élection présidentielle de 2012. Son abandon demeure une trahison pour beaucoup de gens qui ont voté pour lui. Le droit de vote des étrangers souffre aussi du racisme post-colonial : les opposants au droit de vote des étrangers s’inquiètent moins du droit de vote d’un Étasunien que de celui d’un Algérien. D’où un tri entre bons et mauvais immigrés : les étrangers les plus nombreux en France sont les Portugais et les Algériens. Les premiers peuvent voter, pas les seconds. Les historiens parlent, à propos des « indigènes » en Algérie aux XIXe et XXe siècles, de « nationalité sans la citoyenneté », puisqu’ils étaient français mais ne pouvaient voter aux mêmes élections que les français d’origine européenne. Aujourd’hui, certains de leurs descendants n’ont ni l’une ni l’autre.

Si le droit de vote est accordé, quelles en seraient les modalités ? « Il faudrait fixer une durée minimale de résidence en France, trois ou cinq ans par exemple. », propose Abdoul Aziz Sall. « Sinon, ça permettrait aux étudiants de voter alors qu’ils s’en vont l’année suivante, ça n’a pas de sens. » Ana Maria Sanchez Albarracin abonde : « Je ne sais pas si je resterai longtemps en France, pour l’instant je ne suis pas intéressée par pouvoir voter à ces élections. C’est important de savoir pourquoi on va voter, de connaître les raisons et les enjeux. » Paroles de bon sens.

Les candidat·e·s
Au moment où nous publions cet article, dix candidat·e·s se présentent aux élections municipales à Grenoble :
– Catherine Brun, déjà candidate en 2008 et 2014, à la tête de la liste d’extrême gauche menée par Lutte ouvrière ;
– Éric Piolle, le maire sortant, à la tête d’une liste de rassemblement à gauche ;
– Olivier Noblecourt, ancien « délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté » auprès du gouvernement Philippe, à la tête d’une liste de centre-gauche ;
– Émilie Chalas, députée de la troisième circonscription de l’Isère, à la tête d’une liste de centre-droit ;
– Alain Carignon, maire de Grenoble de 1983 à 1995 (il a fini son second mandat en prison et a été condamné à quatre ans de prison ferme pour « corruption, abus de biens sociaux et subornation de témoins » en 1996), à la tête d’une liste de droite ;
– Mireille D’Ornano, conseillère municipale, à la tête d’une liste d’extrême droite Les Patriotes;
– Damien Berthélémy, à la tête d’une autre liste d’extrême droite Rassemblement national.
Le candidat indépendant Fabien Cominotti s’est aussi déclaré candidat.
La liste La Commune est à nous !, plutôt classée à l’extrême gauche, est en cours de formation et la tête de liste n’est pas encore désignée.
La liste « Popo », tendance libertaire, se lance également dans la campagne municipale avec pour tête de liste « Popo ».
Mise à jour : Sept listes ont été déposées pour le premier tour, qui s’est déroulé le 15 mars : « Grenoble en commun », menée par Éric Piolle, « Grenoble nouvel air » ; menée par Olivier Noblecourt ; « Un nouveau regard sur Grenoble », menée par Émilie Chalas ; « La société civile avec Alain Carignon », menée par Alain Carignon ; « La Commune est à nous ! », menée par Bruno de Lescure ; « Lutte ouvrière », menée par Catherine Brun et « Mieux vivre à Grenoble », menée par Mireille d’Ornano. Les résultats du premier tour sont disponibles ici.

Notes :
(1) « Le regard des Français sur le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales », sondage Harris Interactive, octobre 2018. Enquête par téléphone sur un échantillon de 1010 personnes sélectionnées par la méthode de quotas.
(2) Pour préciser, à la question d’accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales, Emmanuel Macron a préféré écarter le sujet et a déclaré que « le sujet c’est plutôt comment pour toutes celles et ceux qui ont acquis la nationalité française, comment on s’assure qu’elle s’exprime à plein et qu’ils utilisent tous ces droits ».