Municipales, vous faites abstention ?
L’abstention avait atteint 57 % au premier tour aux municipales de 2014 à la Villeneuve. (dessin : Le Crieur)

Dernier épisode de notre trilogie sur les élections municipales, zoom sur l’abstention. Souvent présenté comme le « premier parti de France », l’abstention aux élections municipales progresse, d’autant plus dans les quartiers populaires comme Villeneuve. Éléments d’analyse et paroles d’abstentionnistes.

Les municipales ont toujours été à part dans le champ des élections. Les élections les plus locales sont ainsi celles où les enjeux nationaux s’expriment le moins. Elles sont aussi, historiquement, celles par lesquelles les Français·e·s (les premiers 150 ans avant les secondes d’ailleurs) ont conquis leur droit de vote. Lors des dernières élections municipales, en 2014, le taux d’abstention a pourtant atteint 37 % au second tour. Crise de la démocratie ? Plutôt crise électorale. Car abstentionniste ne veut pas dire dénué de sens politique. Nombreux sont les abstentionnistes, avec qui Le Crieur a discuté, qui sont impliqués dans la vie de leur quartier, dans des associations ou dans des collectifs. S’abstenir, c’est aussi s’exprimer.

Un habitant
« Je pense que si je vais voter, ça sera blanc ou nul. Parce que je sais que ça la fout mal de ne pas voter. Depuis Macron, je suis dégoûté. Pourtant j’ai voté pour lui en 2017 [au second tour, face à Marine Le Pen, ndlr], mais je suis trop déçu. Je m’informe sur la campagne des municipales mais personne ne m’intéresse. Ce sont tous des menteurs ou des faux-culs, je n’ai plus confiance en ces gens-là. Quand on voit la mobilisation des Gilets jaunes ou celle pour les retraites, et que les gens ne sont pas écoutés… »

Dans leur ouvrage Une démocratie de l’abstention (La Découverte, 2014), Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen rappellent que l’abstention est plus élevée chez les plus jeunes, chez les chômeurs et chez les moins diplômés. Trois « cases » que coche Villeneuve : 39 % des Villeneuvois·es ont moins de 25 ans, il y a 30 % d’ouvriers contre seulement 8 % de cadres à Villeneuve et le chômage y dépasse les 30 %. Le fossé se creuse entre Villeneuve et le reste de la ville. En 2001, le quartier votait dans les mêmes proportions que la ville. Deux mandats plus tard, l’écart de participation s’élevait à 10 % (voir graphique ci-dessous). Les Villeneuvois·es votent de moins en moins aux élections municipales.

Christian
« Je ne vote pas. J’oublie. Ça m’intéresse mais les démarches pour voter sont complexes. Et puis, même si je votais, ça ne changerais pas grand-chose. Entre ce que les politiciens disent et ce qu’ils font… Ce ne sont que des promesses. Pourquoi aller voter alors qu’on sera toujours déçu ? »

Une habitante
« Je ne sais pas si je voterai. J’ai l’impression que peu importe pour qui on vote, ça ne change rien. On parle de voter pour faire barrage, barrage à l’extrême droite. Je commence à en avoir marre du vote pour faire barrage. »

Une chose est sure, le rejet du système politique, entre déceptions provoquées par les équipes élues et désaccords avec leurs politiques, est profond. Le discours « Tous pourris ! » peut-il être entendu ? En tout cas, le système politique, fait de renoncements dus à des contraintes externes, notamment budgétaires, qui font que les maires n’ont pas les coudées franches, et les différentes affaires judiciaires locales n’aident pas à valoriser l’image des politiciens.

Yann, alias Skad
Il y a deux types d’abstention : parce qu’on a une conscience citoyenne et parce qu’on en n’a pas. Le système des élections est devenu trop lourd, surtout que rien n’en sort. Aller voter, ça veut aussi dire faire confiance au système établi, croire que la vérité sera derrière les élections… Aujourd’hui, on est dans une période où les consciences personnelles ont beaucoup évolué. Plein de gens ne se retrouvent plus dans le schéma politique droite-gauche, qui est une pensée politicienne. Je ne suis pas sûr de voter aux élections municipales. Le mouvement de Piolle correspondait de manière étroite à ce en quoi je croyais mais une fois arrivé au pouvoir, je me suis rendu compte que ce n’était pas ça en fait. Je ne dis pas que n’importe quel politicien ferait mieux, par contre j’ai la conviction que c’est possible de faire autrement. Avant, cela ne me dérangeait pas de voter par défaut, maintenant si. Voter par défaut, c’est dire : « Je vote pour quelque chose qui ne va pas dans le bon sens et le je le sais. » »

Ce n’est pas parce que la place du marché de la Villeneuve est devenue la scène où il fait bon de se montrer pour les candidat·e·s que la question des quartiers populaires a été jusqu’à présent particulièrement mise en avant. Et les quartiers sud sont, parfois, les délaissés des politiques municipales. Peut-être parce que les enjeux primordiaux des quartiers, les luttes contre le chômage et la pauvreté, sont davantage du ressort des politiques nationales que municipales, même si Grenoble possède un des plus gros CCAS de France. Reste que l’abstention sera sans doute encore élevée en mars.

Mise à jour : l’abstention s’est finalement élevée à 67,49 % des inscrits, dans le quartier, et à 57,75 % à Grenoble, deux nombres records depuis 2001. Le maintien du premier tour des élections municipales malgré la pandémie de maladie à coronavirus (Covid-19) qui sévit depuis janvier en France a fait considérablement diminuer la participation.