Le roman-photo de la rénovation urbaine
Maïlys Toussaint, en thèse à l’école d’architecture de Grenoble, étudie les liens entre changements dans le quartier et changements dans les habitudes des habitants. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Maïlys Toussaint est une jeune étudiante-chercheuse qui arpente le quartier de la Villeneuve à la rencontre des habitants. Par le biais d’itinéraires, sous forme de roman-photos — une méthode de recherche pour le moins originale — elle documente les relations entre changements dans le quartier et changements dans les habitudes des habitants.

Dans les appartements en rénovation du 40 galerie de l’Arlequin, Maïlys Toussaint arpente les sols de béton brut et prend des photos. Comme pour retrouver la trace d’une vie antérieure sur murs décrépis. Depuis septembre 2015, elle rédige une thèse, à l’École d’architecture de Grenoble (située à la Villeneuve) sur « l’habituation aux ambiances ». Voilà pour le langage de chercheur. En termes plus polis, elle étudie comment les changements dans les logements et les quartiers entraînent des changements chez les habitants, et inversement. « Je pars du principe que un habitant est un expert de son quartier. », indique-t-elle.

Pendant trois ans, son « terrain » sera celui de la Villeneuve, où elle a habité pendant un an et demi. Plus précisément, celui du 40 et 50 galerie de l’Arlequin, lourdement modifiés par les travaux de rénovation urbaine. Une partie du 50 a été détruite en 2013. Le 40 et le reste du 50 sont en cours de rénovation. « C’est le terrain idéal, puisqu’il y a de grosses transformations en ce moment et qu’il y a eu une mobilisation des habitants contre la destruction du 50. », dit Maïlys.

Roman-photo

Pour recueillir la parole des habitants, Maïlys utilise la méthode pour le moins originale des itinéraires (voir encadré) : « la rencontre démarre de la porte du logement de l’habitant. Il amène le chercheur sur le terrain. Il choisit tout, ce qu’il raconte, où il veut aller. Il raconte ce qui est important pour lui. Le chercheur ne fait qu’écouter. »

Originalité supplémentaire, ce parcours et la discussion entre l’habitant et le chercheur sont photographiés. Les visages, les lieux, les rencontres forment ensuite un roman-photo. Un itinéraire est donc la conjugaison du récit et des photos qui retracent le parcours.

« Les itinéraires montrent le rapport vécu des habitants avec leur quartier et permettent de voir comment ils s’habituent aux transformations. », explique Maïlys. « Ce sont aussi des représentations collectives, des traces écrites qu’on peut partager. » Ils permettront à la chercheuse de voir comment les habitants s’approprient les espaces modifiés par les projets de rénovation urbaine. « Est-ce que la vie des gens est prise en compte ? Comment s’adapte-t-on à ces changements ? Est-ce que les aménageurs ne sont pas en train de tout casser ? »

Transformations urbaines

Pour illustrer les transformations du quartier, elle prend l’exemple de la destruction d’une partie du 50 galerie de l’Arlequin et la rénovation de l’autre partie, ainsi que du 40. « Beaucoup de gens marchaient en-dessous du 50, grâce à la galerie. Avec la rénovation, la partie non-détruite de la galerie sera fermée. Il va y avoir des changement de chemins, des détours. »

Pour l’instant, Maïlys prévoit la réalisation d’itinéraires avec une dizaine d’habitants. « J’ai envie d’avoir des personnes diverses, mais sans les mettre dans des cases. » Ce qui lui plaît dans cette méthode, c’est le contact avec les gens. « C’est une méthode basée sur l’empathie. Une relation se crée, une collaboration dans le détail. Les habitants auront d’ailleurs le choix de ce qui va être rendu public. »

Itinéraires
La méthode des itinéraires a été théorisée par le sociologue Jean-Yves Petiteau (1942-2015), chercheur au CNRS et à l’École d’architecture de Grenoble. « Lors de la journée de l’itinéraire l’autre devient guide. Il institue un parcours sur un territoire et l’énonce en le parcourant. Le sociologue l’accompagne. Un photographe témoigne de cette journée en prenant un cliché à chaque modification de parcours, temps d’arrêts, variations du mouvement ou changements émotionnels perceptibles, le dialogue est entièrement enregistré. Ce dispositif ritualise la journée, l’équipe est repérable, l’expérience sera unique et non reproductible. Quelque chose d’explicite va se livrer dans l’instant. », écrivait-il. « Son but, ce n’était pas de valider ou non le projet, mais de voir vraiment la vie dans ces quartiers. », explique Maïlys Toussaint. Jean-Yves Petiteau a réalisé nombre d’itinéraires, notamment à Nantes, avec les dockers, dans les années 1990.

Aseptisation du quartier

Exemple d'itinéraire réalisé par Jean-Yves Petiteau, en 1991, avec le docker Dany Rose, à Nantes.

Exemple d’itinéraire réalisé par Jean-Yves Petiteau, en 1991, avec le docker Dany Rose, à Nantes.

Maïlys met en avant sa volonté de soutenir les habitants : « Mon travail permettra d’améliorer la prise en compte de la vie des habitants dans les prochains projets de rénovation. En apportant des témoignages de ce qu’est la vie quotidienne dans un quartier en chantier, on peut peut-être proposer une autre manière de faire que celle que proposent les aménageurs habituellement. » La chercheuse réfute être au service des aménageurs. « Je ne sais pas si cette méthode les intéresse. Avec l’avis des habitants, il y a une vieille tendance à préférer la quantité que la qualité. »

D’ailleurs, elle se montre assez critique des travaux de réhabilitation en cours. « Je n’ai pas compris cette idée d’ouvrir la Villeneuve. J’ai peur que ça ne tue le quartier, au lieu de l’améliorer. C’est dommage de modifier les idées de départ de la construction du quartier. Cette destruction [du 50, ndlr], ça aseptise, ça formalise la Villeneuve. »

Avis aux intéressés, Maïlys recherche un photographe pour l’accompagner dans ses itinéraires.