« Faire revenir les gens à la Villeneuve, ça ne passe pas que par la rénovation urbaine »
Catherine Rakose est élue en charge du secteur 6 (Villeneuve, Village-Olympique et Vigny-Musset). (photo : BB)

Catherine Rakose est la nouvelle élue en charge du secteur 6 (quartiers Villeneuve, Village-Olympique et Vigny-Musset) dans l’équipe municipale élue en mars. Le Crieur l’a rencontrée dans son bureau du boulevard Jean-Pain pour parler rénovation urbaine, image du quartier et cadre de vie à la Villeneuve.

Vous êtes élue du secteur 6. Première question, simple, à quoi ça sert un élu de secteur ?

Je ne savais même pas moi-même avant d’être élue. Vous savez, on n’est pas une équipe de pros. Mais maintenant, je sais : l’élu de secteur, c’est l’élu qui fait la charnière, le lien entre les habitants et la municipalité. Puisqu’il n’est pas en charge d’une thématique particulière, l’élu de secteur a une vision plus transversale de tout ce qu’il peut y avoir, problèmes ou pas problèmes d’ailleurs. Nous devons faire remonter l’avis des habitants. Nos interlocuteurs directs sont essentiellement les directeurs de territoire, les antennes de secteur et les élus en charge des thématiques abordés, comme l’éducation, la culture ou l’urbanisme. D’un certain côté, on est aussi chargé d’expliquer la politique de la ville, même si, dans ce cas, les élus viennent souvent faire des réunions publiques.

Comment s’est fait la répartition entre les élus de secteur ? C’était un choix d’être élue d’un secteur où vous n’habitez pas ?

La seule obligation était justement d’être élu dans un secteur où on n’habitait pas ! On a fait une réunion entre les six futurs élus de secteur et on a fait la répartition selon les envies. Moi, je me voyais bien dans un quartier populaire. J’habite pas loin de la place Saint-Bruno, qui un quartier populaire très agréable. Le fait de travailler dans un autre secteur que celui où on habite, ça permet de connaître autre chose. Il y a un intérêt à découvrir ce qui se passe ailleurs.

Surtout que le secteur 6 est un peu particulier…

C’est un secteur très dynamique. Parfois je me fais l’impression d’être un petit drapeau sur une locomotive, qui flotte et qui essaye de se maintenir parce que c’est hyper-dynamique. Surtout que le secteur 6 et la Villeneuve en particulier ont été maltraités. Il y a eu le discours de Grenoble [ndlr : prononcé par Nicolas Sarkozy, à l’époque président de la République, en 2010], le reportage d’Envoyé spécial [en septembre 2013]. Ce reportage, je suis tombé dessus en zappant, parce que je ne regarde plus cette émission. Eh ben, ça donnait pas envie d’y mettre les pieds ! C’était trop caricatural. Je savais bien que ce n’était pas le reflet de la réalité. Cela dit, ça va mieux quand on le constate sur place. Sans nier les problèmes. Mais des problèmes, il y en a partout.

Vous êtes venue au forum Médias et quartiers populaires organisé par des habitants du quartier à la MC2. C’était important que la mairie y soit ?

Bien sûr que ça l’était ! Mais j’y étais surtout à titre personnel. Je n’ai pas pu tout voir, mais la table ronde [consacrée au droit de réponse et au retour sur le reportage d’Envoyé spécial] a confirmé ce que je pensais sur le reportage. Et puis bien sûr, pour la mairie… vous savez, on est conscient qu’à la Villeneuve, les gens sont caricaturés, méprisés. Il faut que nous, élus, nous soyons à leurs côtés.

Même si, en moyenne, les habitants des quartiers populaires ont moins voté pour Éric Piolle que le reste des Grenoblois ?

Oui mais ça, peut importe. À partir du moment où on est élu, on regarde pas qui a voté pour nous. Nous sommes élus de tous les administrés. Après les élections, une amie m’a demandé si j’étais impressionnée d’avoir été élue dans une grande ville comme Grenoble. Je lui ai répondu que non, pas plus que si j’avais été élue dans un petit village du Grésivaudan que je connais bien. Et puis j’y ai réfléchi deux-trois jours et je me suis dit : « Mais j’ai pas un patron, j’ai 150 000 patrons ! » Je travaille pour le bien commun et le bien de tous les habitants.

Un des grands chantiers à la Villeneuve est celui de la rénovation urbaine. Quelle va être la politique de votre majorité sur cette question ?

Une réunion publique est programmée [le 16 décembre] où beaucoup de choses seront débattues. Nous allons aussi nous baser sur les ateliers qui ont déjà été faits. Toujours en lien avec les habitants dans le but de co-construire. Nous avons reçu

la confirmation du nouveau contrat de ville. Le dossier est à déposer en juin 2015, ce qui fait que pour l’instant rien n’est arrêté. C’est seulement à partir de ce moment-là qu’on va pouvoir en discuter avec les gens.

Et quelle est la latitude de la mairie ? L’Anru(1) est un organisme national, l’État n’impose pas certaines choses ?

Je ne pense pas que l’État décide de ce qu’on fait et de ce qu’on fait pas. La mairie a la main sur beaucoup de choses. Sur le premier volet de l’Anru, ce qui devait être fait a été fait. Il n’y a plus que l’aménagement. Il y a des choses qui sont déjà lancées, on va voir ce qu’on peut faire en accord les habitants. Mais sur certaines choses décidées par l’ancienne municipalité, on ne peut pas revenir dessus. Par l’exemple la destruction des silos 3 et 4 se fera de toute façon. Le silo tout neuf est d’ailleurs presque fini. Pour le reste [le second volet de l’Anru], c’est à construire avec les habitants. On en dira plus au moment de la réunion.

Et quelle forme prendra cette co-construction ? Des comités d’habitants ? Des réunions publiques ?

Honnêtement, je ne sais pas encore… Mais on ne va pas se limiter à des réunions publiques. Il y a eu beaucoup de choses de faites, en dehors des commissions, dans les ateliers. On ne part pas non plus de rien.

Vous allez associer les Ateliers populaires d’urbanisme à ces projets ?

On les a rencontrés. Il faut tenir compte des idées, il faut discuter avec eux. Je crois en l’intelligence collective : comme le disait ma grand-mère, il y a plus d’idées dans plusieurs têtes que dans une seule.

Contrats de ville, késaco ?

Depuis 2000, les politiques publiques de la ville, notamment sur la rénovation urbaine, reposent sur de grands projets instaurés par des contrats qui lient l’État et les collectivités locales.

D’abord appelés contrats de ville lors de leur lancement par le gouvernement Jospin, en 2000, ils deviennent des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) sous le gouvernement Villepin en 2007. Alternance du pouvoir oblige, le gouvernement Ayrault les renomme… contrats de ville, en 2012. Plusieurs fois repoussée, la signature des contrats de ville est, pour le moment, prévue pour juin 2015.

Les contrats de ville (nouvelle formule) reposent sur des projets d’urbanisme dans les quartiers prioritaires (QP), énième appellation et classification des quartiers populaires. Le dossier de la ville de Grenoble, qui porte sur les quartiers prioritaires de la Villeneuve, du Village-Olympique, de Mistral et de Sainte-Claire-les-Halles, a été accepté et devrait donc être signé en juin.

Les conseils citoyens qui sont en cours de création auront-ils un mot à dire sur les questions de rénovation urbaine ?

Les conseils citoyens sont plus concentrés sur les projets de cadre de vie. Ils auront une légitimité, mais le travail au niveau de ces conseils n’a pas encore abouti. Un seul conseil ou des conseils de quartier…, le débat n’a pas encore été tranché.

Et les Unions de quartier ?

Les Unions de quartier continuent, elles sont libres et indépendantes. On ne veut pas les noyer dans les conseils citoyens. Surtout qu’elles ne font pas doublon, c’est pas tout à fait la même chose. Et puis certaines personnes peuvent faire partie des deux.

Une des premières polémiques après votre élection est venue de la Villeneuve, avec l’affaire des femmes de ménage de la régie de quartier. Les habitants ont reproché au maire Éric Piolle de n’avoir rien fait.(2)

Ça a été fait avant. L’appel d’offre avait été lancé avant… La mairie ne pouvait rien faire. Actis a des règles préétablies, il ne pouvait rien faire.

Même si Piolle et vous faites partie du conseil d’administration (CA) d’Actis ?

On ne l’était pas à l’époque(3). Mais on a rencontré la régie de quartier, on leur a apporté notre soutien pour les aider à trouver d’autres marchés. Mais sur une procédure d’appel d’offres, on ne pouvait rien faire.

Et maintenant que vous êtes au CA, vous ne pouvez pas relancer un appel d’offres pour une autre montée ?

Ah bah là pour l’instant, ça je ne sais pas du tout. Je pense qu’une décision de demander un appel d’offres, il faut que ce soit la majorité du CA qui soit pour. On est peut-être au CA, mais on n’est pas la majorité non plus.

Puisque l’on parle d’Actis, sur Grenoble, il y a un manque et une dégradation du parc de logement social à Grenoble. Quelle va être la politique de la mairie, notamment à la Villeneuve ?

Pour le logement social, nous sommes pour la politique de l’existant. De rénovation de l’existant. À la Villeneuve, c’est dans le cadre bien particulier de la rénovation urbaine. Donc de la rénovation, de fait, il va y en avoir. D’après ce que j’ai vu, Actis entretient bien ses logements. Mais il y a beaucoup de logements vacants.

Un des problèmes, c’est que les appartements sont trop grands, donc pas adaptés pour des personnes seules ou en couple sans enfants.

C’est vrai. Mais il y a déjà des travaux prévus. Il va y avoir les coupures pour mettre des ascenseurs, donc de fait, il va y avoir des transformations. Pour certains logements, ils seront plus petits. Il faut faire revenir les gens à la Villeneuve. Et ça ne passe pas que par la rénovation : l’image est dégradée depuis trop longtemps. Faire revenir les gens passe aussi par la scolarité, par une politique cohérente entre l’éducation, l’enfance, la jeunesse, le sport, pour donner aux gens l’envie d’aller là-bas.

Après avoir été convaincus de s’installer en bas du nouveau silo, les commerçants de la place du marché viennent d’apprendre qu’ils resteront finalement sur la place. Pourquoi ce revirement ?

C’est plus cohérent d’avoir un pôle de santé au silo. Par exemple, il y a un manque de dentistes dans le quartier. Je pense qu’il faut laisser les commerces sur la place du marché. Ça donne l’allure d’un grand village : le marché anime bien le lieu et les commerçant installés autour y contribuent. Plutôt que de les délocaliser au silo, il faut développer les commerces sur la place pour qu’elle reste un endroit vivant. Ce développement se fera grâce à un système d’aides.

Quel type d’aides ? Fiscales ?

Non. Il n’y a rien de bien précis pour l’instant. Il faut qu’on voie avec les commerçants comment les aider à mieux faire fonctionner leur commerce, à avoir une meilleure approche. Mais on va les soutenir pour qu’ils s’en sortent. Et puis inciter des commerçants à s’installer. Comment réaménager les commerces fermés ? Pourquoi ne pas déplacer les commerces qui sont sur l’îlot ? Tout ça, c’est à l’état d’étude.

Et sur le déficit d’activité de la place des Géants ?

L’équipe se penche sur le problème de la dynamisation de la place des Géants. Il y a déjà des choses qui ont été faites. Par l’ancienne municipalité, il faut le reconnaître, par exemple en ce qui concerne la jeunesse, l’agrandissement du jardin des Poucets. Surtout que le jardin est utile, il crée du lien social. Il y a un petit resto qui a ouvert aussi, mais je n’ai pas encore eu le temps d’y aller. Mais tout ça c’est un travail de fourmi, de longue haleine. Le secteur 6 est un secteur très ramassé, le plus petit des six. C’est aussi celui qui a les revenus les plus faibles. C’est le constat que je fais mais qui est général en France : sur les quartiers populaires, ça fait 30 ans que ça se dégrade. Toutes les politiques de la ville depuis ont eu plus ou moins de succès, plutôt moins d’ailleurs. Mais tout part du lien social : il commence à y avoir un souci quand les gens ne se parlent plus.


(1) Anru : Agence nationale pour la rénovation urbaine, agence étatique en charge de la rénovation des villes, notamment des quartiers populaires. Un plan national a été lancé en 2008, un second suivra en 2015.
(2) Fin 2013, le bailleur social Actis lance un appel d’offres pour le nettoyage des coursives de la galerie de l’Arlequin, jusqu’ici confié à la Régie de quartier, association qui emploie des femmes en insertion. En avril 2014, une autre société de nettoyage est choisie, menaçant l’emploi de 12 personnes. Les femmes de ménage employées par la régie de quartier, appelées correspondantes de coursive, ont un rôle social qui va au delà du simple nettoyage.
(3) Le nouveau conseil d’administration siège depuis le 18 juin.