Médias et quartiers populaires ou comment lutter contre les stéréotypes
Environ 150 personnes ont participé à la journée de rencontre sur les médias et les quartiers populaires.

Septembre 2013, un énième reportage sur les « banlieues » françaises, à coup de courses-poursuites entre la maréchaussée et jeunes des quartiers populaires, est diffusé à la télévision, dans l’émission Envoyé spécial. Biaisé et déséquilibré, le reportage a mobilisé les habitants contre lui. Jusqu’au tribunal où la plainte pour diffamation déposée par une association du quartier est jugée irrecevable. Plus d’un an après, des habitants organisent à la MC2 de Grenoble un forum sur les Médias et les quartiers populaires.

14 heures et des poussières. La BatukaVI, la batucada des jeunes de la Villeneuve, entame son premier morceau sur le parvis de la MC2, à Grenoble. Le groupe lance l’ouverture du forum Médias et quartiers populaires, organisé par des habitants de la Villeneuve. Un peu plus d’un an après la diffusion du reportage d’Envoyé spécial Villeneuve : le rêve brisé, qui présentait le quartier comme un « ghetto » où règnent « chômage, pauvreté, délinquance et violence », les habitants du quartier souhaitent réaliser un temps de discussion et d’échanges sur les relations entre quartiers populaires et médias.

Dans le hall de la MC2, plusieurs médias citoyens ou implantés dans les quartiers populaires tiennent leur stand. Les visiteurs, environ 150 personnes sur l’ensemble de la journée, peuvent retrouver, pêle-mêle : Les Antennes, le LyonBondyBlog, le réseau MédiasCitoyens, New’s FM, Radio Kaléidoscope, Radio Grésivaudan, Presse&Cité. Et bien sûr Le Crieur de la Villeneuve, qui lance pour l’occasion le numéro 0 (car la maquette est susceptible de nombreux changements) de sa version papier.

Le journalisme en débat

Deux ateliers égrènent l’après-midi, mêlant visiteurs, habitants de la Villeneuve et journalistes. Le premier, organisé par la Coordination nationale – Pas sans nous, aborde les conséquences et les préjudices des médias pour la vie quotidienne des quartiers populaires.

Le deuxième débat est modéré par Thierry Borde, du réseau MédiasCitoyens, et prend plus la forme d’une présentation des différents médias citoyens présent à la MC2.

Un stand « Droit de réponse » fonctionne pendant toute la journée. Avec pour objectif de filmer un droit de réponse – refusé par France télévisions – à destination de l’émission Envoyé spécial. Quelles réactions ont eu les personnes quand elles ont vu le reportage ? En quoi il a changé leur vision du journalisme ? Leur vie quotidienne ? Une douzaine d’habitants joue le jeu du question-réponse. La version des faits des habitants, sous forme vidéo, sera prochainement diffusé sur le site Internet du Crieur.

Maltraités dans le reportage Villeneuve : le rêve brisé, dans l'émission Envoyé spécial, une douzaine d'habitants a exprimé son droit de réponse.

Maltraités dans le reportage Villeneuve : le rêve brisé, dans l’émission Envoyé spécial, une douzaine d’habitants a exprimé son droit de réponse.

Après la diffusion du court-métrage Guy Môquet, chaleureusement applaudi par public, le clou de la journée peut commencer. La table ronde sur le thème « Reportages biaisés et droits de réponse », en référence au reportage d’Envoyé spécial, est animée par Philippe Descamps, journaliste et rédacteur en chef du Monde Diplomatique.

Table ronde autour du reportage d’Envoyé spécial

La rencontre commence par un constat amer du journalisme par Philippe Ollier, journaliste à France 3 et représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ), qui critique, à propos du reportage d’Envoyé Spécial, « un reportage qui ne respectait pas la charte de déontologie proposée par le SNJ et signée par France Télévisions ». Avant d’appeler à la création d’un « conseil des journalistes », sur le modèle du conseil de l’ordre des médecins, qui serait chargé de « juger » les erreurs commises par les journalistes français. Ce type d’organisme existe dans de nombreux pays étrangers, notamment au Royaume-Uni.

Sur le droit de réponse, l’expertise est amenée par Anne-Marie Benoît. La juriste en droit des médias rappelle que le droit de réponse est régi par la loi sur la presse qui date de… 1881. Et donc qu’elle n’est plus adaptée au contexte actuel, notamment depuis le développement de la télévision et d’Internet (même si la loi a été actualisée depuis). Quant à la question de la diffamation, seules les personnes – physiques ou morales, comme les associations – citées dans le reportage peuvent porter plainte. L’irrecevabilité de la plainte, jugée en juin dernier lors du procès pour diffamation intenté par l’association des habitants de la crique sud contre France Télévisions, était donc « logique ».

Le dernier invité de la table ronde est Jérôme Berthaut, sociologue et auteur de « La Banlieue du 20 heures », sur le traitement médiatique des quartiers populaires dans le JT de France 2. Pour le sociologue, le reportage d’Envoyé Spécial traduit clairement une dérive de l’émission, à l’origine créée pour être le magazine de la rédaction de France 2. Les reportages d’Envoyé Spécial étaient réalisés par des journalistes de la chaîne publique. Mais depuis plusieurs années, la réalisation est sous-traitée à des sociétés de production, comme c’était le cas pour « Villeneuve : le rêve brisé ». Sociétés de production qui collaborent maintenant à de nombreuses émissions, que ce soit sur l’audiovisuel public ou privé. La « patte » Envoyé Spécial, qui faisait la réputation du magazine, a donc disparu.

Seul bémol de la journée, l’annulation du concert d’In Situ, expérience de collectage sonore dans le quartier de la Villeneuve, annulé pour des raisons techniques. Le projet continue toutefois, de nouvelles sessions de collectage sont prévues au mois de décembre.

Les papiers des consœurs/confrères :

Place Gre’net a fait un compte-rendu du forum ;

New’s FM a réalisé des interviews pendant la journée ;

Le LyonBondyBlog a lui aussi réalisé des interviews.