
La chanteuse Camélia Jordana, fin mai, expliquait à la télévision avoir « peur face à la police », provoquant une vague de témoignages allant dans son sens. Asma, une jeune habitante de la Villeneuve, a voulu elle aussi exprimer son ressenti.
Être une Arabe de quartier face au policier, ça me fait peur.
J’ai peur devant la police. J’ai peur car j’ai l’impression que ma vie ne vaut rien devant eux. J’ai peur de tout ce que j’ai entendu, vu ou vécu. Certes, je vais sûrement être moins touchée que mes frères, oncles ou voisins mais je ne suis pas épargnée totalement. Je repense à toutes mes sœurs arabes ou noires rabaissées, insultées, violentées par ceux qui sont censés nous protéger.
Mais il y a aussi le fait que je suis surtout impuissante face à ce qui peut se passer, face à ce qu’on peut entendre, voir subir. À chaque descente de flics, je me demande s’il va se passer une dinguerie. Quand je sors et que je vois les flics, je préfère contourner le parc que devoir passer devant eux. On ne sait jamais…
Lorsqu’on a grandi dans un quartier, dans une famille rebeu ou renoi, on a peur de la police.
Lorsqu’on a grandi en voyant des flics surarmés faire des rondes quotidiennes en passant à côté d’enfants jouant au ballon, on a peur de la police.
Lorsqu’on a grandi en voyant les flics gazer des enfants de 13 ans sans réel motif, on a peur de la police.
Lorsqu’on a vu les flics gazer nos mamans dans le quartier, on a peur de la police.
Lorsqu’on a grandi en voyant les flics tabasser ses voisins, les grands de son quartier et même sa propre mère, on a peur de la police.
Lorsqu’on a accompagné une amie au commissariat porter plainte pour attouchement, que ça refuse de prendre sa plainte en lui disant que c’est une beurette et qu’elle aime ça, on a peur de la police.
Lorsqu’on a filmé un contrôle d’identité par peur que ça dégénère et par peur de perdre un ami, qu’on reçoit des menaces de se faire casser son téléphone puis qu’on se fait fouiller, alors qu’il n’y a que des hommes dans la brigade, en se faisant traiter de « beurette » tout le long de la fouille, on a peur de la police.
Lorsqu’on a vu la police faire plus de mauvaises choses que de bonnes choses, on a peur de la police.
Et ce qu’il y a de problématique, c’est qu’on grandit avec cette peur qui peu à peu se transforme en colère. Pourquoi on subit ça ? Pourquoi nos vies comptent moins que quelqu’un d’autre qui a un autre nom et une autre adresse ? Pourquoi on doit grandir en se rappelant nos blessés et surtout nos morts ? On nous parle de haine antiflic, mais parlez plutôt de la haine que les flics ont envers nous.
Puis, lorsqu’on voit des gens comme Camélia Jordana qui exprime, sur un plateau télé, ce que nous sommes des milliers à ressentir et qu’elle se fait insulter, ça nous choque. Le gouvernement, en contestant ses propos, nie tout ce que nous ressentons et tout ce que nous essayons d’exprimer depuis des années. Encore une fois nos vies et nos avis ne comptent pas.
Manifestations
La mort de George Floyd, un Noir tué par un policier blanc le 25 mai aux États- Unis a provoqué une vague de manifestations contre le racisme et relancé le mouvement Black Lives Matter (Les vies noires comptent). Avec un écho en France : deux rassemblements se sont tenus à Grenoble, les mardis 2 et 9 juin, auxquels ont participé de nombreux habitants du quartier, pour dénoncer les violences policières, notamment les morts suite à une intervention policière, mais aussi le racisme de la police et de la société plus généralement. D’autres manifestations sont prévues.