Séparatisme ou mise à l’écart ?
Affiches contre la loi « séparatisme », l’islamophobie et le racisme, à Villeneuve, en décembre 2020. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

D’abord appelée loi contre l’islamisme, puis contre le communautarisme, puis contre le séparatisme, la « loi confortant les principes républicains » est censée être débattue à l’Assemblée nationale ce mois-ci. Le Crieur publie deux témoignages d’habitant·e·s du quartier sur le climat ambiant d’islamophobie.

Nourredine
« Cette loi, c’est grave. Elle me fait peur. Les Français ne se rendent pas compte de la mécanique en œuvre. Ce qui s’applique aux musulmans aujourd’hui s’appliquera aux autres demain. C’est une loi liberticide.

« [Les gens au pouvoir] font une loi faute de pouvoir régler les vrais problèmes des gens en France, qui sont les problèmes économiques. Les musulmans servent de paravent. On parle de séparatisme, comme si une partie de la population musulmane allait créer un « islamistan » en France !

« Quand je suis arrivé en France, en 1981, le racisme était marginal, la société française n’était pas imprégnée par l’idéologie d’extrême droite, comme c’est le cas actuellement. Ça a commencé par le discours du Front national, puis, par capillarité, le racisme s’est étendu à tous les partis. Si on sert à des gens qui n’ont pas le recul suffisant 25 ans de matraquage raciste ça conduit à : « Un Arabe qui roule en Mercedes, il doit vendre de la drogue, c’est pas net ! » Alors que les plus gros racistes ne côtoient pas les Arabes. Quand tu allumes la télé, tu vois « islam », « musulmans », tout le temps, tu as la nausée !

« On parle de « territoire perdus » [de la République], on devrait plutôt parler de « territoires abandonnés ». Il y a des discriminations dans l’accès au logement, au travail, et en plus tu demandes à ceux qui les subissent d’adhérer à un projet de société ? Le manque de respect et de reconnaissance vous dégoûte du système. Les chibanis acceptaient et se taisaient. Aujourd’hui, les jeunes n’acceptent plus de se taire. On leur demande de s’intégrer, mais s’intégrer à quoi ? Mon fils est né ici, il ne parle pas arabe, il va s’intégrer à quoi ?

« C’est quoi les principes républicains ? Liberté, égalité, fraternité, justice. Laïcité, c’est dire que tous les cultes doivent être traités de la même façon. Ceux qui disent que la charia est au-dessus [des lois], ce sont des marginaux, des illuminés. En France, l’islam est la seule religion à la tête de laquelle on met un « analphabète » [comme président du Conseil français du culte musulman, fondé par Nicolas Sarkozy en 2003, ndlr]. On choisit à notre place : elle est où la séparation de l’Église et de l’État ? Mais c’est vrai qu’il y a un problème avec la formation des imams, qui est mauvaise. Ils ne sont pas très forts en religion.

« Dire que l’islamophobie n’existe pas n’est qu’une dénégation de plus. Concernant la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), on peut être en désaccord avec les objectifs de l’association, mais leur base c’est l’utilisation du droit. Donc ceux qui ne sont pas républicains, ce sont ceux qui ont été condamnés grâce au CCIF, pas le CCIF lui-même. »

Sofia
« C’est une loi tournée contre les musulmans. Encore une fois, en utilisant l’excuse des actes terroristes, plutôt la folie de certains. Tout est bon pour aller contre les musulmans. La loi a été réécrite pour lutter contre la haine, alors que justement, elle provoque la haine, c’est blasant ! Elle développe aussi le sentiment d’injustice. Ça fait 20 ans que ça dure, ça ne m’étonne pas.

« On parle de neutralité des services publics mais les femmes voilées ne peuvent pas accompagner les sorties scolaires. Intérieurement, ces femmes peuvent développer de la haine, car elle sont rejetées, considérées comme non-conformes, parce qu’elles ont un foulard. La neutralité du service public, ça doit être l’équité de traitement, que tu portes un foulard ou non, que tu sois juif ou non, homo ou non.

« Mais quelles armes a-t-on pour se protéger ? Quand tu es musulman, tu as peur, car tu ne sais pas comment te positionner. On peut te considérer comme un provocateur. Quand tu t’opposes, tu es assimilée aux terroristes. T’as même peur de lutter.

« J’ai perdu mon énergie, je ne sais même pas contre quoi je me bats, c’est très fatiguant. Tu dois te battre comme musulmane, comme habitante d’un quartier sensible, comme mère d’ados qui sont typés. On t’écrase, on t’insulte, et merde ! Le musulman, l’Arabe, le Maghrébin, le Noir, t’es rejeté. Je m’éloigne du débat, j’en ai marre d’entendre la connerie des autres. C’est fatiguant de devoir se justifier en permanence.

« Les policiers menacent de démissionner parce que Macron a dit qu’il y avait des violences policières. Moi aussi je donnerais bien ma démission d’habitante de quartier. C’est vrai, se faire insulter ça peut être dur pour eux, mais nous et nos enfants aussi on se fait insulter par des élus.

« J’ai déjà fait des dons au CCIF. Ils sont là pour les gens des quartiers, mais le gouvernement les a démolis… Bien sûr qu’il faut faire attention à la formation des imams, des fanatiques, il y en a.

« Les jeunes sont très au fait de tout ça. Nous, on était insouciants, on s’en foutait de la politique et de tout ça. Eux ils assument, ils sont très impliqués. »