L’association Sasfé cambriolée… à cause de la police
Le rez-de-chaussée du local de Sasfé sert de lieu de stockage à l’association. (photo : BB).

Quand une opération policière tourne à l’imbroglio et que la police, bien malgré elle, collabore à un cambriolage.

Jeudi 8 janvier, les salariés de l’association Sasfé, en arrivant dans leurs locaux du 100 place des Géants, se rendent compte de la disparition d’un ordinateur portable et d’une imprimante. Ils constatent aussi que leur porte blindée du bas — leur local est sur deux étages — a été fracturée. Dans la foulée, ils appellent la police pour constater le vol. Les policiers arrivent vers 17 heures. S’ensuit un dialogue quelque peu surréaliste, rapporté par un salarié :

« — Notre local a été cambriolé, nous avons constaté le vol ce matin. Donc on pense que l’effraction ça a eu lieu la nuit dernière.
— Ah mais non ! La porte a été ouverte mardi matin. C’est nous qui l’avons forcée. »

« Vaste opération » policière

Mardi 6 janvier, une « vaste opération » policière, comme le raconte le Dauphiné Libéré dans son édition du 7 janvier, a eu lieu dans l’agglomération grenobloise. Vaste, en effet, puisqu’elle mobilise, selon le quotidien, « l’antenne DIPJ de Lyon, la BRI, le GIPN, le Raid et les gendarmes ». Des « arrestations simultanées, dès six heures, dans les quartiers sud de l’agglo, c’est-à-dire Villeneuve d’Échirolles, et les quartiers Mistral, Teisseire, Village-Olympique et Villeneuve à Grenoble » sont menées. Un suspect qui tente d’échapper à la police fait une chute du 7e étage d’un immeuble allée des Frênes. Le local de Sasfé, association culturelle et d’éducation populaire, a été perquisitionné dans le cadre de cette opération policière.

Retour au 8 janvier. Afin d’en savoir plus, les salariés de Sasfé téléphonent à la mairie, à l’antenne de la Villeneuve et au bailleur social Actis — le local, propriété d’Actis, est mis à disposition de la mairie qui le met à son tour à disposition de Sasfé. Personne n’est au courant de l’affaire. Puis ils téléphonent aux flics. Qui ne leur fournissent pas plus d’explications mais qui les « invitent » à un rendez-vous au commissariat.

La porte du local enfoncée par la police lors de la perquisition. Les membres de l'association utilisent principalement la porte du premier étage. (photo : BB).

La porte du local enfoncée par la police lors de la perquisition. Les membres de l’association utilisent principalement la porte du premier étage. (photo : BB).

Mardi 13 janvier, un des salariés de Sasfé se rend au commissariat du boulevard Maréchal-Leclerc, avec une amie avocate, persuadés de pouvoir porter plainte pour vol. D’emblée, la police interdit à l’avocate d’assister à l’entretien. Le salarié de Sasfé raconte « un dialogue de sourds pendant deux heures ». Le policier confirme bien que le local a été perquisitionné, en présence de deux témoins, mardi 6 janvier à six heures. Les membres de Sasfé ne se sont aperçus de la fracture de la porte que deux jours plus tard puisqu’ils vont « rarement au rez-de-chaussée du local, qui sert plutôt de lieu de stockage ». Deux jours pendant lesquels le local  est resté ouvert, facilitant le cambriolage de l’association.

Un local squatté ?

« D’après le policier, le local de Sasfé serait squatté : pendant la nuit, des gens y joueraient aux cartes », raconte le salarié de Sasfé. À l’insu des occupants car les membres de l’association n’ont jamais trouvé trace de leur passage. Mauvaise piste policière, sans doute. En tout cas, ni Sasfé ni ses membres ne sont mis en cause dans cette affaire. Le policier refuse de donner accès au PV de perquisition, avançant « le secret de l’enquête ». Avant de « dégager » le salarié de Sasfé qui ne veut pas fournir la liste des membres de l’association. Contacté par Le Crieur, le bureau du procureur de la République dit « ne pas vouloir communiquer sur une affaire en cours confiée à un juge d’instruction ».

Entre temps, la porte a été réparée par les services municipaux. L’antenne de mairie précise avoir reçu une demande de réparation le 12 janvier et l’avoir effectuée dans la journée. Au Crieur, le responsable indique recevoir « régulièrement des demandes de réparation de porte ou de rideau de fer ». « Mais dans 99 % des cas, il s’agit de vandalisme », précise-t-il. Avant d’ajouter, « Récemment, nous sommes intervenus pour le Clept et l’Arbre fruité ».

Nous recevons régulièrement des demandes de réparation de porte ou de rideau de fer

À la question de savoir qui va payer les réparations de la porte, l’amie avocate de Sasfé répond : « le ministère [de la Justice] », comme c’est le cas lors des perquisitions, lorsque le propriétaire n’est pas mis en cause. En jargon juridique, cette disposition porte le doux nom de « responsabilité de l’État pour rupture de l’égalité devant les charges publiques ».

Autre interrogation, pourquoi la police n’a prévenu ni Sasfé, ni la mairie, ni Actis ? D’après le salarié de Sasfé, « le flic a dit qu’ils n’ont pas prévenu avant car « ils risquaient leur vie ». Et ils n’ont pas prévenu après avoir défoncé la porte car « ils venaient d’arrêter des personnes dangereuses et qu’ils avaient autre chose à faire » ». L’antenne de mairie confirme n’avoir appris « que plus tard qu’il s’agissait d’une opération policière ». Quant au responsable de l’agence Actis rue Marie-Reynoard, contacté par Le Crieur, il confie « ne pas avoir été au courant de l’opération policière ».

Dix minutes de perquisition

D’après la loi, lors d’une enquête confiée à un juge d’instruction, celui-ci peut ordonner des perquisitions sans l’accord de l’occupant, en l’occurrence Sasfé. Et la présence de l’occupant n’est pas obligatoire. En cas d’absence, la loi oblige quand même celle de deux témoins, le plus souvent des voisins. Un de ces deux témoins raconte au Crieur avoir été réveillé à six heures du matin par la police, le 6 janvier. Une perquisition « d’une dizaine de minutes, à l’aide de chiens renifleurs » se déroule ensuite dans le local de Sasfé. Le voisin se souvient avoir signé le PV qui mentionnait que « rien n’avait été trouvé au cours de cette perquisition ».

Un bel imbroglio demeure. Comment se faire rembourser les objets volés ? Une plainte pour effraction ne peut être déposée car l’effraction est liée à l’enquête. Et une plainte pour vol n’aboutirait jamais car le local était ouvert au moment du vol. Certes, à cause de la police. Surtout que l’association ne dispose d’aucun document officiel prouvant la perquisition : le procès-verbal est protégé par le secret de l’enquête. Devant la complexité de la situation, la MAIF, l’assureur de Sasfé, a transmis le dossier à son service juridique, à Aix-en-Provence.

Affiche de l'édition 2014 du festival Quartiers libres.

Affiche de l’édition 2014 du festival Quartiers libres, organisé par Sasfé.

D’après l’association et son avocate, la seule solution serait de passer par le juge d’instruction pour obtenir le PV de perquisition et de déposer un recours. Pour l’instant ces démarches sont restées vaines.

Une affaire qui complique la situation déjà délicate de l’association, notamment du point de vue financier. La 15e édition du festival Quartiers libres, organisé par Sasfé, prévue à la fin du mois de mai, a ainsi été annulée. Si vous voulez aider financièrement Sasfé, une plate-forme de don est disponible ici.