La faute aux parents ?
Article pas facile à illustrer, du coup faîtes l’interprétation que vous voudrez de cette photo. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

« Laisse pas traîner ton fils, si tu veux pas qu’il glisse ». NTM avait raison, mais comment faire ? Dans son essai La « démission parentale », facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ?, Laurence Giovannoni rappelle que les travaux de recherche sociologique s’éloignent « des théories attribuant aux seuls parents la responsabilité des comportements déviants de leurs enfants ». Les faits sociaux sont importants pour expliquer ce comportement : « échec scolaire ; place du groupe de pairs (les « bandes ») ; stigmatisation sociale et raciale ; précarité. » L’exemple suivant, celle d’une famille « normale », très éloignée du poncif de « parents démissionnaires », l’illustre. Voici le témoignage d’un habitant du quartier, qui souhaite rester anonyme, parent d’un jeune habitant, Z., perçu comme délinquant.

« On a été surpris par l’arrivée de l’adolescence. Franchement, quasiment du jour au lendemain, on s’est rendu compte que l’on n’avait plus le même enfant, ça a été brutal ! Quand on a dit à Z. : « Non, tu ne sors pas, tu restes à la maison ! », il a dit : « Je fais ce que je veux » et il est parti. Ça ne s’était jamais produit avant. On n’était pas préparé à ça. On se dit : « Mais qu’est-ce qu’on fait ? » Au début, on a été le chercher pour le faire rentrer, parce qu’on savait à peu près où il était. Maintenant, on ne sait plus où il va.

« Il n’y a jamais eu de problème à la maison. Nous deux, les parents, on a toujours été ensemble, on travaille tous les deux. On s’est toujours occupé de lui. Il a voulu suivre, peut-être qu’il a cherché sa place. Et puis sa place, il l’a trouvée, il ne l’a peut-être pas trouvée avec nous, il l’a trouvée avec d’autres. Effet de bande, je pense.

« C’est à cause du laps de temps nécessaire pour comprendre la situation qu’on n’arrive pas à récupérer le coup. Il le sait, il voit bien qu’on est démuni et du coup il arrive à imposer son autorité. Donc on a tendance à devenir autoritaire, donc il y a conflit. Au début, je pensais qu’il fallait y aller par la force parce qu’il n’y avait plus que ça. Il ne voulait pas entendre, il voulait plus écouter, il ne respectait pas les règles, donc il fallait y aller par la force. C’est après coup qu’on se dit qu’il faut relancer la communication mais c’est déjà trop tard. Lui va entrer dans la provocation. Maintenant, c’est compliqué, il n’y a plus vraiment d’échange. Je parle mais il n’y a plus de retours ou alors très brefs. Je me dis que c’est comme s’il était momentanément dans le coma mais qu’il entend ce qu’on dit.

« Il a joué le jeu d’aller à l’école jusqu’au milieu du collège mais après il nous a fait comprendre qu’il ne voulait plus y aller. Il disait : « J’aime pas l’école. » Je cherche encore la raison de la cassure. Progressivement, les copains qu’on connaissait ont disparu et il y a eu d’autres copains. Il n’est plus scolarisé depuis. Quand il était au collège, il y a eu une alerte du rectorat puis plus rien, malgré une demande de ma part. J’ai contacté les services sociaux et là non plus il n’y a pas eu de suite. J’ai aussi contacté la Mission contre le décrochage scolaire. Mais on m’a dit que puisque Z. n’avait pas encore 16 ans, il ne rentrait pas dans les critères. Mais qu’il y avait quand même l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans. Entendu, pour les parents, dans le cadre de l’autorité parentale. Mais l’obligation elle n’est pas aussi pour l’Éducation nationale ? J’ai ressenti comme un laxisme de la part des administrations. Finalement, il a quand même été admis en formation technique. Mais il n’y met jamais les pieds.

« On a fait une demande d’aide éducative mais on nous a dit que ça allait bénéficier à un autre enfant, à cause du manque de moyens. C’est particulier la protection de l’enfance. Comme Z. a ses deux parents et qu’il les voit, ils considèrent que Z. n’était pas un cas prioritaire. Alors qu’il est en danger ! Ça, c’est quelque chose qui ne nous quitte pas. Il est en danger parce qu’il est déscolarisé, parce qu’on ne sait pas où il est, on ne sait pas qui il fréquente. Parce qu’on sait aussi que derrière, il y a de la délinquance et que Z. en fait partie.

« Ça, il ne veut pas en parler. Il ne comprend pas qu’on s’énerve, qu’on se mette en colère. Il ne se rend pas compte qu’il a fait quelque chose de mal. Plutôt, il n’a pas envie de voir les conséquences. Ce qui compte, c’est le moment. Le reste… Il ne se projette pas.

« C’est marrant, je n’ai pas l’impression que le trafic ça soit pour gagner de l’argent. Ils sont plus dans une forme d’affirmation, de reconnaissance. Z. veut être libre, faire ce qu’il veut, sans règles et sans contraintes. Donc forcément au détriment d’autrui. Ils ont peut-être au fond d’eux une revendication qu’ils ne savent pas exprimer.

« De toute façon, il y a un refus de l’adulte. Pas d’envie de communiquer avec les adultes. Mais il faut qu’il sente une résistance de l’adulte. Il faut qu’il ait un cadre de règles, qu’il ressente la frustration. Parfois, les parents ne peuvent plus remplir ce rôle. Alors il faut qu’il y ait un relai. On vit en société, il faut qu’il y ait d’autres adultes. Avant, il y avait le sport, mais plus avec le Covid. Ça manque. C’était des endroits où les jeunes pouvaient se retrouver. Ils trouvaient ce cadre. Tous ces liens avec les entraîneurs sont coupés.

« Je pense que les parents démissionnaires, ça n’existe pas. Au contraire, souvent les parents sont loin d’être démissionnaires. Ça n’arrive pas qu’aux autres. Par définition, les parents démissionnaires sont ceux qui ne s’investissent pas dans l’éducation scolaire de leurs enfants. Il ne faut pas l’étendre ou stigmatiser. Il faut réfléchir à la situation de ces parents. Ce terme, c’est une façon de nier que c’est tout un système qui échoue. Soit au niveau de l’autorité judiciaire, soit au niveau de l’autorité administrative, soit au niveau de l’Éducation nationale. Les démarches sont très longues. Quand les choses interviennent, c’est déjà trop tard, l’autorité des parents est remise en cause par les enfants. Il faut que les parents soient mis devant une obligation [par une administration, ndlr] pour que l’enfant voit que cette obligation est appliquée. Mais il y a une carence. On brandit des grandes règles, des grands principes, mais finalement il n’y a rien derrière. Les premiers à en faire les frais sont les enfants, mais les parents aussi. Je ne soutiens pas ce que les jeunes font, mais je me dis qu’il manque quelque chose… Ces enfants sont perdus. Ils savent que la « démission » ne vient pas seulement des parents mais aussi de la société.

« Quelque part, on se dit qu’on fait mal les choses… On culpabilise énormément. On avait l’impression d’être tout seuls. Heureusement que j’ai rencontré des professionnels, des éducs, qui m’ont aidé à relativiser. Parce qu’on a l’impression qu’on n’est plus bon à rien. Il faut que les parents classés comme « démissionnaires » puissent être entendus par les professionnels. Je me suis mis en relation avec les éducateurs de rue mais plein de parents ne savent pas qui ils sont. Je suis prête à rencontrer le préfet. Pas pour défendre mon fils mais pour dire : « C’est avant que ça se passe. C’est avec eux que ça doit se passer. » Ce sont des gamins, ils ont besoin d’être accompagnés. Il faut une police de proximité qui connaisse les jeunes. Pour redonner confiance dans la police.

« Pour ne pas me sentir affiché, je me suis mis en retrait du quartier. De toute façon, je sais ce que les gens vont dire ou comment ils vont réagir. Je n’ai pas envie de dire quoi que ce soit à ces gens-là. On sent parfois qu’il y a des regards fuyants. Mais ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’agir.

« Je le vis vraiment comme une expérience. Je n’en veux pas à Z.. Il ne plaît peut-être pas à la société, mais il reste mon enfant. Personne n’est parfait. Il faut continuer. C’est un combat. Comme la maladie, sauf que la maladie est mieux perçue.

« C’est épuisant. J’ai craqué, physiquement. Au travail, c’est devenu compliqué. La santé en prend un coup. Je ne pense pas qu’un parent ne souffre pas de cette situation. C’est une torture morale, c’est tout le temps dans la tête. J’ai même vécu une situation de deuil à un moment. Entre l’enfant qu’on a eu et ce nouvel enfant, j’ai vécu une situation de deuil. Le pire, c’est que l’enfant est toujours là. Si on se laisse aller dans cette situation, oui, effectivement, on finit par ne plus rien faire. Il ne faut pas vivre dans le souvenir de ce que l’enfant a été ou dans l’illusion de ce que l’enfant aurait pu être.

« Couper les allocs des parents d’enfants délinquants, c’est n’importe quoi. Non seulement ça va leur mettre une pression supplémentaire, mais pour certains parents les allocations familiales sont un revenu non-négligeable. C’est un droit, pourquoi ça deviendrait la sanction d’une infraction ? »

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