Quand La Villeneuve écrit
De gauche à droite : Nadine Barbançon, Géraud Bournet, Emmanuèle Buffin, Barry Houdoussi, Jean Giard, Daniel Bougnoux, Jean-Luc Lamouille et Jo Briant, réunis au salon des écrivains de la Villeneuve, samedi 30 avril. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Samedi 30 avril, à la bibliothèque Arlequin, douze écrivains et écrivaines de la Villeneuve étaient réunis. Ils ont pu présenter leurs ouvrages et échanger avec le public.

Des autobiographies, des essais, des poèmes ; des dessins, de l’aquarelle, des infographies ; Shakespeare, la Tunisie, le Japon. Et puis La Villeneuve. Des pages et des pages noircies d’écriture. Un joyeux pot-pourri avait rendez-vous, samedi 30 avril, à la bibliothèque Arlequin pour un salon des écrivains du quartier. Douze auteurs de La Villeneuve étaient invités à prendre la parole devant le public — très têtes grisonnantes — pour présenter leur œuvre ou un livre en particulier. Et, si le cœur leur en dit, à lire un passage de leur ouvrage. Si la séance de présentation a un peu traîné en longueur, les discussions autour des tables de dédicaces ont continué d’animer la matinée. Petit retour sur les différents auteurs présents.

Nadine Barbançon pour Au bord du lac

La photographe et écrivaine Nadine Barbançon s’est installée une semaine, « en immersion » à la résidence du Lac, la maison de retraite du quartier, à rencontrer et dialoguer avec les vieux. « Ma question était comment, après toute une vie, on vient dans un endroit comme ça ? », raconte-t-elle. « Je n’écris pas mais je suis une voleuse de conversations : je les enregistre et j’essaye de les réécrire au plus proche. Chacun des extraits qui sont dans cet ouvrage sont des sortes d’instantanés. »

Daniel Bougnoux pour Shakespeare : le choix du spectre

Daniel Bougnoux, prof et philosophe, vient de publier un livre sur Shakespeare « 400 ans après sa mort, c’est le moment de relancer la problématique sur son identité autour de cette commémoration assez suiviste ». « Dans la signature de Shakespeare, il y a un jeu sur l’identité, une espèce d’ironie supérieure. L’auteur lui-même porte un masque et n’est peut-être qu’un rôle. » Prenant la suite de Lamberto Tassinari et de son John Florio alias Shakespeare, Daniel Bougnoux défend la thèse – de manière plus poétique qu’universitaire – que le dramaturge serait en fait John Florio : « Un Shakespeare italien d’origine juive, c’est peut-être shocking. »

Extrait de Shakespeare : le choix du spectre :
« Les livres naissent des livres, l’imagination prend son élan dans la mémoire et nos auteurs ne font que se citer, se plagier ou grimper adroitement les uns sur les autres – comme ce Shakespeare que des générations de critiques ont examiné ligne à ligne pour montrer qu’il n’avait rien inventé, puisque la plupart de ses intrigues existaient déjà, jusque dans le détail de scènes qu’il n’a fait qu’adapter. »

Mohamed Boukhatem pour Le chemin de ma vie

Le chemin de ma vie est la biographie de Mohamed Boukhatem, écrite à la première personne. Le Crieur avait fait le portrait de cet habitant de la Villeneuve, arrivé en France en 1963, à 21 ans. Face à l’audience, il tient à rappeler que son parcours ressemble à celui de tant d’autres : « 80 à 90 % des immigrés [algériens, ndlr] étaient ruraux et analphabètes. » Puis suivront des années de militantisme à l’ADCFA, l’Association dauphinoise de coopération franco-algérienne. Il laisse le soin de la lecture à son petit-fils, pas peu fier de ses talents de lecteur.

Extrait de Le chemin de ma vie :
« Face à notre situation de manque et de grande indigence, mon père décidait de m’envoyer en France pour quelques années afin de gagner de l’argent. […] Je n’avais pour information que l’adresse du mari de ma sœur qui, en 1962, après le cessez-le-feu, avait quitté l’Algérie pour vivre en France dans une ville au nom inconnu : Grenoble. […] Mon père me laissait partir pour quatre ou cinq ans. Cinquante ans après, je suis toujours à Grenoble. »

Géraud Bournet pour Franckushima

Le graphiste de l’association À bord perdu, installée sur la place des Géants, vient de publier en autoédition Frankushima, à propos de la catastrophe de Fukushima, au Japon, en 2011. « Ce qui m’a motivé pour écrire ce livre, c’est qu’en France, il y a une large désinformation concernant le nucléaire. Il existe des ouvrages mais très austères, qui ne sont pas forcément faciles d’accès. » Le livre compile documents, témoignages et infographies de la situation au Japon. « C’est une petite contribution au débat public et social au sens large. »

Extrait de Franckushima, extrait d’un témoignage d’une habitante de la zone contaminée :
« Un accident majeur a eu lieu près de chez vous. Vous habitez à l’intérieur de la zone contaminée mais les autorités ont classé votre commune hors de la zone d’évacuation forcée. Vous cherchez à évacuer, à votre propre charge. Imaginez que ce courrier vous soit adressé. Que ressentiriez-vous ?
« N’apportez pas de matériel de couchage, rideaux ou vêtements qui n’ont pas été lavés. […]
« N’apportez pas de livres, magazines, ni aucun objet non lavable. […]
« Il est recommandé de placer vos carnets de banque et vos cartes d’assurance dans des sachets en plastique. […] »
Pourquoi nous traite-t-on comme ça ? Depuis mars 2011 on nous traite comme des lépreux. »

Une quarantaine de personnes ont assisté à ce salon. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Une quarantaine de personnes ont assisté à ce salon. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Jo Briant

Comme disent les bibliothécaires, « Jo Briant, à Grenoble, on ne le présente pas. » Le militant de tous les combats humanistes est revenu sur son parcours : « Je ne me suis jamais défini comme un écrivain, plutôt comme un militant. Quand je suis arrivé comme étudiant en philo à Grenoble en 1958, en pleine guerre d’Algérie, je n’avais pas de conscience politique. J’étais même plutôt de droite. La guerre d’Algérie m’a ouvert les yeux. Et puis après il y a eu la création du centre inter-peuples, la lutte contre l’apartheid. Je ne devais pas garder pour moi tout seul tout ce dont j’étais témoin. C’est un devoir militant de transcrire. »

Christiane Joly

Cette poétesse, « passionnée par la littérature, mais aussi le théâtre, la danse, le chant », participe de temps en temps aux séance des slam à La Bobine. « La poésie, c’est la meilleure façon de dire ce que l’on ressent. Quand j’écris, je suis au plus près de ce que je ressens. », dit-elle, avant de confier la lecture de son poème Ta viole d’amour à un collègue.

Emmanuèle Buffin pour 30 ans de ZEP, même pas mal ! Aux Charmes de la Villeneuve

Le Crieur avait fait le portrait d’Emmanuèle Buffin, à l’occasion de la sortie de son livre. Ce recueil de témoignages des trente ans passés comme instit à l’école des Charmes est sorti l’année dernière. « J’ai eu l’idée de ce livre au moment du discours de Sarkozy à Grenoble, en 2010. Il s’est exprimé sur les quartiers, sur les parents, en disant des horreurs. Je me suis sentie personnellement insultée. J’ai voulu témoigner de cette belle humanité qu’il y avait dans ce quartier. »

Extrait de 30 ans de ZEP, même pas mal ! Aux Charmes de la Villeneuve :
« Dès qu’il met les pieds dans bibliothèque, Kamel, lui, se précipite toujours sur le même livre. Il l’emprunte sans cesse, en parle avec ses copains, se tord de rire en le lisant. Pas de baisers pour Maman est peut-être le seul livre de la bibliothèque de l’école qu’il ait jamais lu. À la fin de sa scolarité, le livre est usé et malheureusement indisponible en librairie ! »

Jean-Luc Lamouille

« J’ai commencé la poésie en regardant dans mon rétroviseur », raconte Jean-Luc Lamouille, « car je me suis rendu compte, au cours de mes années d’enseignement dans le supérieur, en France et à l’étranger, quand j’étais dans des périodes difficiles, que le seul fil conducteur, c’était d’écrire. » Le poète ne semble vivre que pour aligner les vers : « dans les années difficiles, je me suis dit, on peut vivre trois jours sans pain, mais pas trois jours sans poésie. »

Barry Houdoussi pour Carton rouge

Barry Houdoussi a écrit, à la première personne, la vie de son frère, Saidou Malale, footballeur frappé par une maladie rare, la spondylarthrite. « Une nuit, on a trouvé notre frère allongé, avec un genou enflé. À la Pitié-Salpêtrière, les médecins avaient prévu qu’il ne reste que cinq jours. Il est resté six mois. Avec cette maladie, impossible de jouer au foot. Mon frère a vu son rêve se briser, d’où le titre, Carton rouge. »

Jean Giard pour Vieillir : une épreuve, une histoire, un projet

Le politicien communiste, ancien conseiller municipal et député Jean Giard est, selon ses termes « entré en gérontologie ». Il a écrit un livre sur la vieillesse : « Ce n’est pas une question très facile, mais c’est une question d’actualité. Je ne suis pas spécialiste de la gérontologie mais je me considère comme un militant de la cause des vieux. La vieillesse, c’est une épreuve, car elle n’est pas facile à accepter ; c’est une histoire, car une des grandes responsabilités des retraités et des personnes âgées, c’est la transmission des valeurs pour lesquelles ils se sont battus ; c’est un projet car, quand on arrive à un certain âge, il faut un projet de vie, à plus ou moins court terme, pour vieillir dans de bonnes conditions. »

Carlos Laforêt

Le poète et habitant du quartier, membre administrateur de la maison de la poésie Rhône-Alpes, a publié ses textes « dans différentes anthologies », dont Bacchanales 53 sur thème travail. Il a traduit deux ouvrages de John Berger, romancier et poète britannique. Il raconte la genèse du poème qu’il s’apprête à lire : « À l’époque, j’étais fumeur et buveur. Je suis toujours buveur mais plus fumeur. Et donc j’étais sur mon balcon, parce que ma femme n’apprécie pas la fumée. J’ai passé une bonne partie de ma vie au balcon à regarder ce qu’il se passait. J’ai eu de la chance d’avoir un beau paysage. J’ai vu un couple de Villeneuvois qui marchait avec leurs chaussures de marche. Ils s’apprêtaient à partir je ne sais pas où. J’ai écrit ce poème suite à ça. »

Extrait de Comme une patrie :
« J’entrevois ton visage, votre couple de marcheurs. C’est déjà si différent de mon monde que même en l’étudiant je ne comprendrais rien. J’imagine alors que nous commençons à discuter. C’est encore plus différent, plus incroyable. Nos mondes communiquent, s’interpénètrent dans l’infidélité. Le monde où je vis, enluminé, s’élargit. Le ciel nous porte et la terre nous est comme une patrie… »

Sahbi Hamada

Il est de tous les rassemblements de la Villeneuve, appareil photo à la main. Sahbi Hamada présente en toute sobriété son livre d’art sur Sidi Bou Saïd, où photos et aquarelles correspondantes se répondent. « Je suis un enfant de la Villeneuve, puisque je suis ici depuis l’âge de 10 ans, à la fin de l’année 1970. J’ai participé à Villeneuve la joie. Je fais de la peinture, de l’aquarelle, du cinéma. Et j’ai deux cultures : une culture française et une culture tunisienne. »