Une ménagère qui déménage
Malika Bazega, sur la scène de la maison des habitants des Baladins, mardi 26 novembre. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Mardi 26 novembre, Malika Bazega, ancienne habitante du quartier, a joué deux spectacles, La Complainte de la ménagère puis La Ménagère en chanteuse, à la maison des habitants des Baladins. Rencontre avec la comédienne.

Le Crieur : Comment vous êtes vous mise à l’écriture ?

Malika Bazega : L’écriture et moi, on s’est rencontré un soir de tristesse. À 15 ans, j’ai perdu coup sur coup mon frère de 21 ans et ma sœur de 23 ans. J’ai sombré dans une détresse incommensurable. À l’époque, on ne parlait pas de dépression. Quelque part, j’avais honte de cette situation. J’ai grandi à Saint-Martind’Hères, dans une famille nombreuse. J’ai certainement manqué de beaucoup de choses, mais j’ai reçu beaucoup d’amour.

J’ai passé mon CAP de couture, à 17 ans. Ce qui coïncide avec notre arrivée sur la place des Géants. Ça fait bien 20 ans que j’ai quitté le quartier mais j’ai encore de la famille ici. D’ailleurs, j’ai fait un poème sur la place des Géants. J’ai entamé une carrière de femme de ménage, chez les habitants, dans le quartier. Des petits boulots, du service à la personne. Je me suis retrouvée avec du temps pour moi, le soir, pour écrire. Je passais mon temps à pleurer, j’écrivais avec l’encre de mes larmes.

Puis, en 1990, j’ai remporté un concours d’écriture, organisé par le CLAP [Comité de liaison pour l’alphabétisation et la promotion, structure de lutte contre l’illettrisme et de promotion des langues et cultures d’origine, surtout destinée aux travailleurs étrangers, qui a existé de 1967 à 1995, ndlr]. En 1994, je faisais du maquillage avec une association du quartier. Il y avait un événement sur la place des Géants sur comment faire revivre le quartier. Déjà à l’époque ! J’ai écrit des poèmes, que j’ai montrés à Sadok, le libraire [Sadok Bouzaïene, ancien libraire, maintenant élu aux Sports à la mairie de Grenoble]. Mais après, je les ai laissés dans un tiroir.

Malika Bazega interprète une ménagère tout en autodérision. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Comment est donc né votre spectacle ?

En 2006, j’habitais à Pont-de- Claix. J’ai été tirée au sort sur les listes électorales pour participer à une commission sur le budget. Avec un groupe d’habitants, on est parti en voyage à Aubagne. J’avais emmené mon maquillage et je me suis mise à maquiller les enfants, là-bas. Les autres membres du comité se sont penchés sur moi en se demandant qui j’étais. J’ai commencé à faire rire les gens, en prenant des voix de dessins animés, avec juste une perruque, quelques accessoires. J’ai fait rire tout le bus au retour, comme à l’école !

Un journaliste du journal municipal a écrit un article sur moi. Je me suis dit : « Moi ? Je n’ai rien à dire… Je suis une bonniche. » Je lui ai montré mes poèmes, il était émerveillé. Je ne savais pas qu’une femme de ménage qui écrit des poèmes, c’est assez rare. Il s’est arrêté sur La Complainte de la ménagère, un poème écrit en 1993. Ils ont pris une photo de moi, en clown. C’est devenu plus tard l’affiche du spectacle. Puis Fouzia [Fouzia Boulacel, maintenant écrivaine public à la maison des habitants des Baladins], qui travaillait pour l’Adate, a lu l’article et m’a proposé de jouer un peu sur scène, lors d’une fête. Je n’avais jamais pris de cours, j’ai fait une heure de spectacle. Le public a adhéré ! Puis j’ai été programmée à la MJC de Pont-de-Claix.

Le spectacle s’est amélioré au fur et à mesure. Aujourd’hui je viens, je suis seule, personne ne parle en mon nom. Ce spectacle m’a fait voyager, Bretagne, Belfort, Hauterives, au festival d’Avignon en 2018.

Ce soir, vous présentez un deuxième spectacle, musical cette fois. Pourquoi ?

Mon rêve d’enfance, véritable, c’est d’être chanteuse. J’ai été nourrie par le son, à la télé, à la radio, j’écoutais Joe Dassin, Sheila, Claude François. Puis, ado, j’ai découvert le rock. À l’époque, je détestais la chanson française, style Brassens, maintenant je chante de la chanson réaliste. Je ne savais pas que j’allais ressortir mes poèmes du tiroir. En 2014, j’ai cherché un musicien pour mettre en musique mes poème, et j’ai rencontré Marc, le guitariste qui m’accompagne.

Votre spectacle est largement autobiographique. Vous arrivez à vous séparer de votre personnage ?

Le personnage de Madame Messalha a été créé dans les cantines municipales, où je travaillais. J’avais une frustration. Mes rêves m’ont pourri la vie mais les rêves m’ont nourri la vie. Tous ces métiers, femme de ménage, caissière, etc., sont dévalorisés, alors qu’on en a besoin ! Les femmes de ménage participent à l’écologie dont on parle sans cesse. Pourquoi ces métiers sont si peu considérés ? Parce qu’on n’a pas fait d’études ? Femme, femme de quartier, issue de l’immigration, femme de ménage. Toutes ces facettes sont devenues ma force.

Je pense qu’avec ce spectacle, j’ai répondu à une demande, celle de transmettre le message de ne pas abandonner ses rêves. Qu’est-ce que vous faîtes de votre parcours cabossé ? Ma plus grande victoire, ça a été de vaincre le mal en moi. J’ai eu la chance qu’on parle de moi, au départ. Maintenant, je vis de mes spectacles. Avant, j’étais une femme de ménage avec une âme d’artiste, aujourd’hui, je suis une artiste avec une âme de femme de ménage.

La Complainte de la ménagère : bonniches, unissez-vous !

Sur scène, Malika Bazega incarne Madame Messalha, femme de ménage de son état, mais pas que. Car Madame Messalha est tour à tour employée, confidente, poète, femme libérée, mère. Elle raconte son enfance dans une famille nombreuse, populaire. Tourne en dérision les sigles des grandes écoles : « BTS : balai, torchon, serviette ! » « Diplômée de l’ENA, École de nettoyage appliqué. De cette école, j’en sors bonne. »

Pendant une heure et demie, les jeux de mots s’enchaînent, font mouche et le public, pour une fois plus représentatif du quartier qu’habituellement, est hilare. « Ce qui m’a marqué, dit un spectateur, c’est qu’elle arrive à faire rire les Maghrébins et les Gaulois ensemble. » Comment faire rire avec le quotidien d’une femme de ménage ? En en étant une un peu particulière, une qui revendique son métier de « bonniche », qui quitte son fainéant de mari, qui parle sexe et qui repousse sans ménagement les avances de son patron. Féministe, la ménagère ? Sans doute.

Malika Bazega convainc et émeut. Surtout, elle trouve le moyen de redonner une fierté certaine à ces employées « dévalorisées ». « Chapeau bas devant la casquette », chantait-on sur les barricades en 1848, pour signifier que les bourgeois devaient désormais s’incliner devant les ouvriers. Pourquoi ne pas se mettre à chanter « Chapeau bas devant le balai » ?