« Les tables de quartier, c’est une citoyenneté d’un genre nouveau »
Pascal Clouaire et Vincent Fristot, sur la scène de l’Espace 600, lors d’une réunion publique avec les habitants en décembre 2014. (photo : BB)

Pascal Clouaire est l’élu grenoblois en charge de la démocratie locale. Parmi ses gros chantiers, le lancement des conseils citoyens, assemblées d’habitants et lieux de représentation des Grenoblois(es). « Sous-ensembles » des conseils citoyens, les tables de quartier seront des assemblées d’habitants spécifiques aux quartiers dits « prioritaires », dont la Villeneuve. Pour mieux comprendre le fonctionnement des tables de quartier, découvrez notre infographie. Le Crieur a rencontré Pascal Clouaire au sujet des tables de quartier dans son bureau, à l’hôtel de ville de Grenoble, vendredi 3 octobre.

Pour commencer, abordons la structure. Les tables de quartier seront composées de 18 membres…

Pascala Clouaire, élu grenoblois en charge de la démocratie locale. (photo : mairie de Grenoble).

Pascala Clouaire, élu grenoblois en charge de la démocratie locale. (photo : mairie de Grenoble).

Dans l’idéal, ce sera 18 membres. Après, ça peu évoluer. Pour l’instant, on démarre, ce n’est pas encore tout à fait cadré. Si c’est 10 acteurs associatifs et huit habitants, ça marchera [la communication de la mairie prévoit 10 habitants et huit acteurs associatifs, ndlr].

Si on souhaite que les choses démarrent, on ne doit pas avoir un niveau d’exigence avec un chiffre arbitraire, du moment qu’il y a un équilibre relatif entre le tirage au sort et les associations. C’est difficile de mobiliser pour la première fois, on ne cherche pas un équilibre strict.

Nous avons l’expérience des conseils citoyens indépendants : il n’y a pas de problème pour trouver des volontaires mais c’est plus compliqué pour le tirage au sort. Disons que 18, c’est une base de travail. Pour un quartier comme Mistral, c’est un chiffre raisonnable. Pour un quartier comme Villeneuve, l’ensemble des acteurs vont trouver que 18, ça fait peu. Peut-être qu’à la Villeneuve, il y aura une représentation supérieure. Mais si on a moins 18 personnes, on commencera à moins de 18.

Comment a été défini le cadre des tables de quartier ?

La chose a été évoquée par la commission extra-municipale [assemblée composée d’élus et de citoyens chargée d’élaborer les conseils citoyens, entre décembre 2014 et mars 2015, ndlr] qui a travaillé sur les conseils citoyens indépendants. On avait acté à ce moment-là que les tables de quartier seraient des sous-ensemble des conseils citoyens indépendants.

Ensuite, c’est vrai qu’il n’y a pas eu de commission extra-municipale spécifiquement sur les tables de quartier. Parce qu’on avait un cadre déjà partagé avec les conseils citoyens indépendants et parce que la loi nous encadre.

Après, tout ça c’est très itératif. Ce qui compte, c’est de mettre en place les tables de quartier, on fera les ajustements après.

Les tables de quartier seront des sous-ensembles des conseils citoyens. Mais comment les deux assemblées vont-elles s’articuler ?

Sur le principe, les conseils citoyens indépendants et les tables de quartier vont décider de leur articulation. La mairie ne souhaite pas intervenir sur cette articulation par le haut. La commission extra-municipale a acté ce lien de sous-ensemble entre les conseils citoyens indépendants et les tables de quartier : une personne tirée au sort dans une table de quartier, peut être, si elle le souhaite, membre de fait du conseil citoyen indépendant. Dans les faits, les deux démarches s’élaborent en parallèle.

Les tables de quartier doivent être indépendantes. Comment seront-elles financées ?

Il y aura une seule association de gestion qui regroupera les conseils citoyens et les tables de quartier. Cette association sera agréée et percevra les fonds. Puis l’argent sera dispatché selon les décisions du conseil d’administration de l’association de gestion. Mais il y aura des fonds versés pour les conseils citoyens indépendants et des fonds pour les tables de quartier. La mairie n’interviendra pas dans les décisions, elle sera juste là pour garantir le fonctionnement.

Certains élus associatifs se plaignent de la communication tardive qui a été faite autour du lancement des tables de quartier. Que leur répondez-vous ?

Ces personnes ont sans doute raison. Elles ont raison non pas sur le fait que la communication est partie tard, parce que la communication est partie il y a bien longtemps [la campagne de recrutement des volontaires a été lancée le 21 septembre 2015, pour prendre fin le 16 octobre, soit quatre semaines, ndlr]. Le problème, c’est qu’elle n’a pas été forcément relayée auprès des habitants.

À la Villeneuve, c’était des affiches dans les maisons des habitants et des plaquettes de présentation. On est loin de la communication faite pour les conseils citoyens.

On a fait une communication traditionnelle sur les tables de quartier, de côté là, c’est juste. Mais on est dans une logique de long terme, les tables de quartier ne se construisent pas que pour 2016 [les table de quartier sont censées se maintenir tout le long des opérations de rénovation urbaine, ndlr], on tiendra compte de tout ça pour la suite.

Notre idée première c’est de dire, comme pour les conseils citoyens indépendants : on démarre et on évoluera ensuite. De toute façon, il y aura commission d’évaluation, au niveau de la municipalité, sur les conseils citoyens indépendants et les tables de quartier. Ce sera un dispositif d’évaluation au fil de l’eau.

C’est notre marque de fabrique que de dire : « on peut se tromper ». Si on disait l’inverse, ça voudrait dire que le citoyen est complètement absent. Ce dispositif doit être souple. Bien sûr, il est encadré par la loi, mais il faut qu’il soit souple pour que les citoyens s’en emparent. On a de l’expérience collective, on a de l’expertise d’usage. En fait, le terme exact, ce n’est pas « on peut se tromper », c’est « on doit être dans une démarche d’écoute permanente ».

Les tables de quartier donneront un pouvoir important aux habitants, puisque des représentants de chaque table seront admis dans les instances de pilotage de la rénovation urbaine. Qu’attendez-vous de ce pouvoir d’agir des habitants ?

Il y a plusieurs niveaux. Au niveau de la vision politique, c’est de rétablir lien de confiance entre le politique – le lieu de la décision – et le citoyen. De casser ce mur qui existe entre le politique et le citoyen, parce qu’aujourd’hui nous sommes face à… des menaces souterraines et silencieuses qui nous mettent dans des situations fragiles si on continue à imposer un point de vue qui viendrait d’en haut. En fait, c’est de donner du pouvoir d’agir.

Deuxième niveau : parce que nous sommes convaincus que nous vivons des transformations sociales, économiques, sociétales, qui sont des changements radicaux, quasi anthropologiques. Le modèle des 30 glorieuses, c’est fini ! Mais on continue de fonctionner sur ce modèle-là, celui de la croissance. Le changement climatique impose de nouveaux modèles dans nos manières de faire, d’être. C’est ce qu’on appelle la transition écologique, économique et démocratique. Avec le changement climatique, s’il n’y a pas de changement de comportement au cours des 10 prochaines années, on va dans le mur ! Et la question des tables de quartier, de la démocratie locale et tout, tout ça n’aura plus lieu d’être ! Là ça va être la guerre civile ! Changer, on ne peut le faire qu’ensemble. Il faut une prise de conscience globale, il faut donc rétablir la confiance.

Troisième niveau : on considère que la qualité d’habitant d’un quartier, son expertise d’usage, sa volonté de s’engager, sont la condition de la participation au devenir de la cité. C’est une citoyenneté d’un genre nouveau.

Quelle sera la latitude des tables de quartier ? S’il y a une opposition avec la mairie, qui aura le dernier mot ?

Là, on est dans logique de co-construction : on discute, on regarde les contraintes respectives des uns et des autres, notamment financières, économiques, techniques. C’est pas un lieu d’affrontement. On peut ne pas être d’accord, maintenant, on s’explique.

Prenons l’exemple du 50 galerie de l’Arlequin : il y avait une volonté politique de détruire cet immeuble, une partie des habitants y était plutôt opposée. Si vous vous retrouvez dans la même situation, que ferez vous ?

Nous, on n’était pas pour la destruction du 50…

Prenons un autre exemple alors. Celui de la piscine Iris. Les habitants souhaitent qu’elle reste ouverte, vous l’avez fermée [la mairie met en avant le manque de moyens pour la rénover, ndlr].

Le dialogue, c’est de discuter ensemble des contraintes de chacun. Si on avait un budget illimité, la question de la piscine ne se poserait pas de la même manière. Les membres de la table de quartier défendront, à juste titre, les intérêts de leur quartier. Mais là encore, au sein de la table du quartier, entre les membres, il peut y avoir du dialogue.

Les pouvoirs publics sont garants de l’intérêt général, pas que de l’intérêt du quartier. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation financière compliquée. Le dialogue avec les futures tables de quartier va aussi aborder la question du budget global de la ville. Le périmètre des tables de quartier, c’est celui du contrat de ville, donc des moyens qui sont accordés dans le cadre du contrat de ville. Mais là, vous me posez des questions qui sont au delà : la question de la piscine Iris ça dépasse le budget du contrat de ville.

Ce qui est très bien avec les tables de quartier, c’est qu’elles permettent une transparence et de dire : « voilà les moyens qu’on a sur les projets ANRU, sur les projets contrat de ville ». Si on met tout le fric de l’ANRU sur la piscine, c’est des millions qui ne vont pas être mis ailleurs.

Mais si les habitants veulent que la piscine soit rénovée ?

On en discute.

Si la table de quartier prend une décision mais que la mairie pense l’inverse, quel va être l’arbitrage ?

Ce n’est même pas un cas théorique… Ça dépend du problème, du sujet.

La table de quartier aura-t-elle un pouvoir supérieur à celui de la mairie ?

On n’est pas dans cette logique là. Là, vous induisez une logique de confrontation qui n’est pas ma logique. Je ne prépare pas la confrontation. On n’est pas dans une prophétie auto-réalisatrice, on est dans la co-construction. Je souhaite qu’avec les habitants, on puisse élaborer une politique commune, basée sur un diagnostic partagé. La piste, c’est de suivre l’avis des habitants.

Si la table de quartier a besoin de moyens techniques ou humains pour faire son travail, pour consulter les habitants par exemple, si elle réclame l’aide de la mairie, vous l’accorderez ?

A priori, la table de quartier sera autonome. Nous pourrons éventuellement donner un coup de main, mais l’aide ne devra pas être interprétée comme une façon pour la mairie de contrôler la table de quartier. Vous dites ça sans calcul, mais il faut surtout que les tables de quartier ne puissent pas être soupçonnées d’être au service de la mairie.

Comment s’articuleront les tables de quartier à Grenoble avec les autres tables de quartier de l’agglo ?

Il faut poser cette question à la Métro. La Métro mutualisera les formations, ce genre de choses, mais elle laisse aux communes le soin d’organiser les tables de quartier.

Le cadre de référence de mise en place des conseils citoyens [publié par l’État en juillet 2014, ndlr] souhaitait que les tables de quartier soient créées avant la signature du contrat de ville, pour qu’il y ait une prise de décision des habitants. Or, à Grenoble, ce n’est pas le cas. Dans les faits, le contrat de ville a été signé avant [le contrat de ville a été signé le 9 juillet 2015, ndlr]. Donc les habitants n’ont pas été associés à l’élaboration du contrat de ville ?

Les habitants ont été associés ! Pas par le biais des tables de quartier, mais par exemple lors de la semaine de rencontre sur la rénovation urbaine [semaine de co-construction, en avril 2015, ndlr].

Le problème, c’est que vous saviez depuis un an que le contrat de ville devait être signé avant la fin de l’été [Myriam El Khomri, à l’époque secrétaire d’État à la Politique de la ville, a annoncé le 24 septembre 2014 la date limite de juin 2015. Cette date limite sera à nouveau repoussé, en juin 2015, à septembre, ndlr]. Pourquoi avoir d’abord créé les conseils citoyens, qui n’étaient pas une obligation légale mais une promesse de campagne, puis les tables de quartier, exigées par la loi, quitte à retarder ces dernières ?

J’assume le fait d’avoir voulu mettre en place le cadre général des conseils citoyens indépendants qui insère les conseils citoyens politique de la ville [les tables de quartier, à Grenoble, ndlr]. L’esprit des conseils citoyens politique de la ville est hyper pertinent. D’ailleurs, on s’en est beaucoup inspiré pour mettre en place les conseils citoyens indépendants.

Les conseils citoyens ont été créés en mars, ça laissait encore trois mois avant la signature du contrat de ville. Pourquoi ne pas avoir créé les tables de quartier pendant ce temps ?

Ça ne se met pas en place comme ça ! Le processus de création des conseils citoyens indépendants a été lancé après la délibération [du conseil municipal du 23 mars 2015, ndlr], en faisant en sorte que les conseils citoyens indépendants cadrent les tables de quartier.

Le tirage au sort des conseils citoyens indépendants, c’est 1400 coups de fil ! On a été obligés de faire appel à une société privée, puisque nous n’avions pas les moyens de le faire avec les services de la ville. Donc ça induit un appel d’offre. C’est très long ! Tant que la délibération sur les conseils citoyens indépendants n’avait pas eu lieu, on ne pouvait rien faire.

Depuis le passage à la métropole, c’est Grenoble-Alpes Métropole qui a récupéré les compétences en matière de politique de la ville. Qui sera l’interlocuteur principal des tables de quartier, le conseil municipal ou le conseil métropolitain ?

Les gens croient que la Métro et la commune, ce sont deux choses différentes. Or ce sont les mêmes : les élus de la commune siègent à la Métro. Donc que l’interlocuteur soit l’un ou l’autre, ça revient au même.