Serge Adam, 91 ans, toujours vaillant
Serge Adam, chez lui, en juin 2019. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Le Crieur a rencontré Serge Adam, qui fut homme à tout faire de la maison de retraites des Gentianes, dont la démolition se termine.

« Quand je suis arrivé, c’était un quartier neuf, il n’y avait personne… C’était en plein hiver, autour de Noël. Les déménageurs ont mis tout mon
bordel dans le salon. Il n’y avait ni chauffage, ni électricité, les travaux n’étaient pas encore finis. » Malgré ses 91 ans, Serge Adam se souvient bien de son arrivée à l’Arlequin, fin 1972. Le natif du Creusot venait d’être nommé gardien de la résidence des Gentianes, une ancienne maison de retraite au 160 galerie de l’Arlequin, dont la démolition se termine.

Le Crieur l’a rencontré, dans son appartement du 170 galerie de l’Arlequin qu’il occupe depuis plus de 47 ans. Son ancien logement de fonction, qu’il a pu continuer à louer après la retraite. « Chez moi, il y avait une porte qui communiquait directement avec la résidence. La directrice de la maison de retraite habitait l’appartement d’en dessous, elle aussi avec une porte qui donnait sur la résidence. »

Forcément, Serge Adam a eu un pincement au cœur quand les engins ont commencé à démolir le 160, de l’autre côté du mur : « Quand j’ai entendu parler de la démolition du 160, je l’ai mal pris. J’y ai travaillé ! J’ai ouvert les portes de l’immeuble ! Il n’avait même pas 50 ans, c’était de qualité, il n’y a qu’à voir combien de temps ça leur a pris pour le démolir. On aurait pu l’utiliser pour autre chose, que ce soient les grandes salles associatives du bas ou les logements. Qu’on démolisse certaines choses, d’accord, mais là… »

Il est arrivé à Grenoble par le fruit du hasard : « Je suis né en 1928. Ma famille vient de la Meuse, du côté de Verdun, à Abaucourt. L’endroit a été un champ de bataille pendant la Guerre [Première guerre mondiale, ndlr]. Quand la guerre est arrivée, ma famille a dû déménager, de force, au Creusot. Peut-être 50 ans après, je suis retourné à Abaucourt avec ma mère : il n’y avait plus rien, les arbres faisaient à peine plus d’un mètre. »

« J’ai commencé dans l’industrie le jour de mes 15 ans, aux usines Schneider, au Creusot. C’était gigantesque. D’ailleurs la ville était surnommée « Schneiderville ». Puis j’ai déménagé en Savoie, dans ma belle-famille, puis à Morestel. J’étais modeleur et contrôleur de qualité, je vérifiais si les pièces en métal moulées correspondaient aux dessins. Les mouleurs étaient des mouleurs d’occasion, des paysans du coin qui cherchaient du travail. Mais l’usine a fermé. »

« Jean Bron (1), un copain qui s’était installé à Grenoble, m’a parlé d’un concours pour entrer dans les résidences. Je l’ai passé et je l’ai eu. Avec Jean Bron, on s’était connu au Parti socialiste unifié (2), il était prof à Montceau-les-Mines, à côté du Creusot. C’était un prof, mais il collait quand même les affiches du parti, j’en ai jamais revu depuis… C’est lui qui m’a appris à parler, il m’a poussé à prendre la parole à la tribune devant 1000 personnes. »

« Du coup j’ai totalement changé de boulot. L’important, c’était d’avoir une paye. Je n’ai pas eu à le regretter. J’ai d’abord travaillé à la maison de retraite des Alpins, à partir de l’été 1967, juste avant les Jeux olympiques, puis aux Gentianes. »

Le chantier de démolition du 160 galerie de l’Arlequin, en juin 2019. Les portes qui communiquaient entre le logement de service de Serge Adam et la maison de retraite sont encore visibles, sur la façade du 170. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

« J’étais quasiment seul pour faire tourner la résidence, faire l’entretien, la garde de nuit, servir d’infirmier, même si je ne l’étais pas. Les gens étaient très gentils, si on t’appelait, c’est que c’était vraiment grave. Beaucoup de gens venaient d’ailleurs, de tous les coins de France, certains pour retrouver leurs enfants. »

Après plus de quinze ans aux Gentianes, Serge Adam prend à son tour sa retraite, à la fin des années 80. Il s’investit dans des associations. « Je suis devenu bénévole au COS de la Ville [comité d’œuvres sociales, l’équivalent des comités d’entreprise pour les collectivités locales, ndlr], on faisait des sorties et des voyages avec des retraités. On a été loin, en Grèce, en Yougoslavie. J’étais chargé de préparer le parcours. Et puis après, pouf ! il n’y a plus eu de sous… On a arrêté. »

« Maintenant, je suis à l’ALD [Amitié, loisirs, découvertes, une association de la Villeneuve, ndlr], on fait des petites sorties. Mais bon, cette année, on n’a pas eu de subvention de la part de la mairie. Il y a beaucoup d’anciens instits. Avec les instits, on n’a pas le même langage. Par exemple, un instit va venir et va raconter une histoire, c’est pas un ouvrier qui ferait ça… Mais c’est ouvert à tout le monde, aux jeunes aussi. Il y a beaucoup de gens du village [la Villeneuve], mais il y a des gens de la ville [du reste de Grenoble]. »

Il aurait pu franchir la porte mais a préféré rester dans son appartement, rempli de souvenirs. Il aime d’ailleurs à raconter cette anecdote. « Une des directrices était la fille de Lucie Aubrac [militante communiste et résistante française, dont le collège du quartier porte le nom, ndlr]. De temps en temps, Lucie Aubrac venait la voir. Elle est venue ici, elle était assise là où tu es assis. On a discuté de tout et de rien pendant 1 h 30. C’était vraiment quelqu’un. Quand on voit son histoire, les risques qu’elle a pris… Après, elle a pris sa bagnole pour descendre toute seule jusqu’à Rome, où elle travaillait. C’est resté un grand souvenir ! »


(1) Militant isérois, notamment du Parti socialiste unifié, qui a donné son nom à la piscine en centre-ville, père du conseiller municipal Paul Bron.
(2) Parti français disparu (1960-1990), emblématique de la « Deuxième gauche », dans la majorité municipale lors des deux premiers mandats d’Hubert Dubedout, maire de Grenoble de 1965 à 1983.