« Les Palestiniens ne sont pas intégrés à la société libanaise »
Mathieu Ozanon a monté l’exposition Et la Terre se transmet comme la langue, sur les camps de réfugiés palestiniens, où il a rencontré Mohammed Khatib, maintenant réfugié politique en Belgique.

Habitant de la Villeneuve, Mathieu Ozanon, 28 ans, a rapporté de ses séjours au camp de réfugiés palestiniens d’Aïn el-Heloué des photographies. Une partie est présentée en ce moment au Patio au sein de l’exposition Et la Terre se transmet comme la langue. À l’occasion du vernissage, vendredi 24 octobre, Le Crieur l’a rencontré en compagnie de Mohammed Khatib, ancien habitant du camp, maintenant réfugié politique en Belgique.

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au camp d’Aïn el-Heloué ?

Mathieu Ozanon : En 2007, j’ai demandé une bourse Zellidja – que j’ai obtenue – pour faire un reportage sur les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Je m’intéressais déjà au sujet sans y avoir été. Je suis d’abord parti en Syrie, voir les camps de réfugiés qui sont assez différents de ceux du Liban. En Syrie, les Palestiniens sont plus intégrés, les camps ne sont pas des zones séparées des villes, il n’y a pas de délimitation. J’y ai passé quelques jours et ensuite je suis allé au Liban, d’abord dans le camp de Chatila(1). Après, j’ai eu des contacts à Aïn el-Heloué. Je voulais y aller mais c’était à un moment un peu tendu : l’armée libanaise venait d’attaquer le camp de Nahr el-Bared(2), donc la question des camps de réfugiés palestiniens au Liban était délicate. J’ai hésité avant d’entrer à Aïn. Le camp est encerclé par l’armée libanaise qui a installé des check-points à toutes les entrées. Le camp est un peu perçu comme une zone de non-droit, contrôlé par plusieurs milices. Finalement, je suis resté un mois entier dans le camp.

C’est de cette époque que date les photos de l’exposition ?

Oui. J’avais aussi apporté trois appareils photos jetables, que j’ai donné à trois jeunes réfugiés. Sur les trois, Batou Abo Aloul a fait de superbes photos. Quelques unes font partie de l’exposition.

Pourquoi avoir attendu si longtemps – 7 ans – avant de montrer ces images ?

Au début je voulais les garder pour moi. Et puis Mohammed, que j’avais rencontré à Aïn, est venu à la Villeneuve en 2013. Il a vu les 15 pellicules que j’avais et il m’a dit : « Il faut en faire quelque chose ! » Le projet a mis longtemps à mûrir, je me demandais qui j’étais pour faire une expo comme celle-là : je ne suis ni photographe, ni artiste, ni journaliste. Quand je me suis décidé, il a fallu trouver de

Mathieu Ozanon et Mohammed Khatib, lors du vernissage de l'exposition, en compagnie de leur traductrice.

Mathieu Ozanon et Mohammed Khatib, lors du vernissage de l’exposition, en compagnie de leur traductrice.

l’argent pour imprimer les photos. L’ADIIJ [Association Départementale d’Information et d’Initiative Jeunesse] et le fonds de participation des habitants ont financé l’exposition. D’ailleurs je voudrais remercier l’animatrice de l’ADIIJ qui m’a boosté pour monter ce projet. Et puis nous voilà ici !

Quand vous êtes arrivé à Aïn, vous vous attendiez à trouver de telles conditions de vie ?

Les conditions de vie sont vraiment « merdiques ». Aïn el-Heloué abrite entre 80 000 et 100 000 Palestiniens sur une zone d’un peu plus d’1,5 km². Certains sont là depuis « la Nakba(3) », d’autres sont arrivés en 1967, d’autres encore en 1970, après « Septembre noir ». Il a des problèmes de pauvreté. Les réfugiés n’ont pas le droit de pratiquer 70 métiers au Liban. Des problèmes d’insalubrité, surtout que les Palestiniens n’ont pas le droit d’être propriétaire. Et puis la violence. Le camp est contrôlé par plusieurs milices qui des fois s’affrontent. En règle générale, les Palestiniens ne sont pas intégrés à la société libanaise. Les Palestiniens chrétiens ont pu obtenir leur naturalisation mais pas les autres. L’UNRWA(4) apporte une aide aux réfugiés mais c’est insuffisant.

Cette exposition, c’est pour montrer ces conditions de vie ?

Oui. Les quatre millions de réfugiés palestiniens sont les oubliés d’Oslo. L’expo est aussi faite pour parler de la Palestine autrement qu’en temps de guerre. Les photos décrivent la vie des réfugiés. Leur ennui, toujours dans l’attente du retour en Palestine. Pour certains gamins, seul leurs arrière grand-parents sont nés en Palestine. Mais ils se sentent quand même palestiniens.

C’était important de monter cette exposition à la Villeneuve ?

J’y tenais à cœur. D’une part parce que j’y habite, d’autre part parce que la Villeneuve est un quartier avec beaucoup de personnes d’origine arabe, qui entretient beaucoup de liens avec le monde arabe en général et la Palestine en particulier. L’expo touche les gens, je pense. Il y a une forte mobilisation des quartiers populaires depuis cet été [depuis la guerre de Gaza en juillet et août 2014]. Une grande solidarité avec la Palestine, à travers de nombreuses actions, comme la campagne BDS [boycott, désinvestissement et sanctions], la réclamation de la fin du jumelage de Grenoble avec Rehovot. L’exposition s’inscrit dans ce mouvement. Elle va devenir un outil de sensibilisation à la cause des réfugiés palestiniens.


(1) Chatila : camp de Beyrouth-Ouest, tristement célèbre pour le massacre de réfugiés palestiniens qui y a été commis par les phalangistes libanais en 1982.
(2) Nahr el-bared : camp du nord du Liban, attaqué par l’armée libanaise au printemps 2007 pour y débusquer des membres du groupe salafiste Fatah al-Islam. Le camp a été entièrement détruit et ses habitants se sont réfugiés dans d’autres camps.
(3) La Nakba : littéralement « La catastrophe », l’exode palestinien de 1948.
(4) UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, en français Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.