Crique centrale : un aménagement participatif en demi-teinte
Lors d’un atelier de construction d’une table abritée, devant Le Patio. (photo : Lucie Hemond, Le Crieur de la Villeneuve)

De mai à juillet, un collectif d’urbanistes propose aux habitants de la Villeneuve d’imaginer l’avenir de la crique centrale au fil de chantiers collectifs. Si de nombreuses idées d’installations ont émergé, le collectif ne pourra en retenir que quelques unes, temporaires.

Ce vendredi 4 mai, sur la crique centrale de l’Arlequin, les rayons du soleil qui se reflètent sur le toit métallique du tramway voisin font fuir presque tous les passants habituels… Pourtant, en arrivant vers l’entrée du Patio, quelques rares courageux s’affairent autour d’un nouveau mobilier en bois, comme une table ou un banc à bascule que plusieurs habitants s’amusent à venir tester. « Ça m’intéresse de rester pour voir leurs démarches, la manière dont ils prennent les mesures… » livre Mustafa, un habitant d’Échirolles qui vient souvent se balader dans la Villeneuve.

Un banc à bascule a été construit. (photo : Lucie Hemond, Le Crieur de la Villeneuve)

Un banc à bascule a été construit. (photo : Lucie Hemond, Le Crieur de la Villeneuve)

Mobilier temporaire et carte interactive

Les constructeurs en question font partie du collectif Aide Interactive Directe à caractère Environnemental & Citoyen (AIDEC), qui mêle architectes, urbanistes et paysagistes. Parmi eux, Diego et Jérôme prennent le temps de discuter avec les habitants qui les interpellent entre deux assemblages de palettes. « On ne fait que parler, on n ‘arrive pas à avancer dans les constructions ! », confie Jérôme en plaisantant. Certains bancs ont été joliment peint en bleu ciel. « On a des enfants qui sont venus embellir le banc, qui ont appris à utiliser une ponceuse… » expliquent-ils. Ils attirent l’attention sur l’un des résultats de leur travail avec les habitants : une « carte interactive », constituée d’une photo satellite de la Villeneuve, sur laquelle sont collés des post-it remplis de commentaires laissés par les habitants. « Barbecue », « plein de bancs », « jardin aromatique » sont les petits mots accrochés sur la crique centrale. Des habitants prennent le temps de s’arrêter pour venir proposer des suggestions, d’autres viennent offrir de la nourriture ou des cafés aux membres du collectif. Parmi eux, Laurence, la cinquantaine, une voisine dont les fenêtres donnent sur la crique. « Il faut planter des arbres », suggère-t-elle d’emblée pour aménager cette crique en friche. Son opinion est mitigée quant à la destruction des parkings silos, jadis accompagnés de jardins potagers sur leur toit. « Avant, ça faisait plus de verdure, maintenant on ne voit que le béton des immeubles d’en face » déplore-t-elle.

A leur grand regret, les membres d’AIDEC précisent que la création d’espaces végétalisés ne s’intègre pas réellement dans l’objectif initial de leur intervention sur le quartier. Organisée par la Métropole, leur présence sur le quartier de mai à juillet 2018 vise à favoriser la participation citoyenne par la réalisation d’aménagements de petite échelle, durant des temps de mini-chantiers collectifs. Il s’agit d’imaginer des aménagements réalisables rapidement pour que, comme nous l’explique Jean-Philippe Hunyadi, responsable du projet pour la Métropole, « les demandes d’aménagements ne soient pas simplement notées, mais qu’elles puissent être mises en place directement et que les habitants participent à leur création en s’investissant aux côtés du collectif ».

Des moyens limités

Suite à la destruction des parkings silos dans le cadre du projet de rénovation urbaine ANRU 1 en 2017, la crique est devenue une étendue de terre battue en friche. Un nouveau plan, l’ANRU 2, est en cours d’imagination, et « Passagers des villes », les architectes en chef du projet, envisagent de transformer la crique en square. Mais ce plan ne devrait pas voir le jour avant 2020. En attendant, les membres d’AIDEC doivent se contenter d’aménagements provisoires. Des installations dont la nature éphémère fait débat chez plusieurs habitants. Jean-Philippe Hunyadi nous rapporte ainsi que l’un d’eux a critiqué l’utilisation de palettes en bois dans les mini-chantiers : « Ce n’est pas parce qu’on est à la Villeneuve que des matériaux qui vont normalement à la poubelle doivent être utilisés », lui aurait-il lancé.

Les propositions d'aménagement de la crique centrale recueillies par le collectif Aidec. (photo : Déborah Mougin, Le Crieur de la Villeneuve)

Les propositions d’aménagement de la crique centrale recueillies par le collectif Aidec. (photo : Déborah Mougin, Le Crieur de la Villeneuve)

Une réaction que David Bodinier, membre de l’association Planning, justifie au regard de l’histoire du quartier : « Si les habitants ne peuvent pas être sûrs que les aménagements qu’ils ont imaginés perdureront, ce genre de consultation peut s’avérer contre-productive, car ils auront l’impression de s’être investis pour rien. » Les habitants s’étaient d’ailleurs déjà exprimés sur l’avenir de la crique centrale dans le passé. Ils avaient voulu aménager à la marge le plan Anru 1 qui ne prévoyait que la destruction des parkings. En 2015, lors de l’atelier « La Crique Centrale c’est l’affaire de tous ! », organisé par l’Atelier populaire d’urbanisme, ils estimaient que cette destruction ne pouvait aller sans un plan d’aménagement alternatif. « Finalement, les parkings ont été démolis, non seulement sans prendre le temps d’imaginer le réaménagement de la crique, mais aussi sans prévoir de budget pour ce réaménagement au sein de l’ANRU 1 », soupire David. Et de conclure : « On comble aujourd’hui ce manque avec la mise en place de micro-projets ».

« Au-delà du résultat des mini-chantiers, ce qui est intéressant c’est la dynamique amorcée par AIDEC auprès des usagers de la crique », nuance de son côté Jean-Philippe Hunyadi. « Trois mois d’intervention pour le collectif c’est assez court, mais on a également un budget assez réduit », se justifie-t-il.

« En occupant la place publique, on a réussi à discuter avec des habitants qui s’expriment peu généralement », rapportent Diego et Jérôme. Samedi 25 mai, le collectif a organisé un table ronde publique pour continuer à attirer des participants à la rénovation de la crique. Peu nombreux, ces derniers ont réparti les suggestions d’aménagement recueillies précédemment sur une carte. Le collectif AIDEC retiendra quelques idées afin de les réaliser de façon collective du 25 juin au 7 juillet. Les habitants pourront alors participer à un dernier chantier public, ainsi qu’à l’événement festif qui clôturera ces deux semaines de travail le 7 juillet.