Au dangereux carrefour de nos intérêts
Le véhicule de Thomas, après l’accident. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Thomas Pedron-Trouvé a eu un accident de voiture, vendredi 19 février. À un carrefour hasardeux de la Villeneuve, il s’est fait percuté par un tram. Il a écrit cette tribune pour réclamer un aménagement du carrefour.

Ce matin du 19 février, je ramenais quelques jeux en bois que j’avais empruntés à une association en ville en prévision de la soirée que nous organisions au Barathym, où j’ai été embauché il y a quelques mois.

Distrait, sans plus, comme nous le sommes souvent avant de commencer une journée de travail ou en pensant à nos petits tracas du moment, roulant ni trop vite, ni avec un excès de prudence, le long de cette rue des Peupliers aux faux airs d’avenue depuis la récente réhabilitation de cette partie du quartier. Rue que j’emprunte peu souvent et toujours dans l’autre sens…

Peut-être avais-je un œil sur les montagnes à l’horizon, peut-être pensais-je déjà à la place de stationnement que j’allais trouver quelques dizaines de mètres plus loin parce que, tout de même, je ne voulais pas arriver trop tard au boulot après ce détour matinal.

Va savoir pourquoi, je n’ai pas prêté attention au marquage au sol, ni même au feu clignotant indiquant l’imminence du passage d’un tram. Refus de priorité de ma part que je réalise trop tard, je ne me souviens même plus avoir eu le temps de freiner. L’instant d’après, le nez d’un tram qui vient de La Bruyère, sur ma gauche, s’encastre dans ma portière, à quelques centimètres de ma tête dans un vacarme de tous les diables, les vitres de ma voiture éclatent, les airbags latéraux crèvent les sièges et la fumée du gaz qui les libère envahit l’habitable. Mon véhicule est projeté, une quinzaine de mètres plus loin, enfonçant toutes les quilles qui jouxtent la nouvelle mosquée avant de s’immobiliser en quelques secondes qui m’ont pourtant paru bien plus longues.

Le carrefour de la rue des Peupliers et de la ligne A du tram. À gauche, le nouveau parking silo. Au fond, le vide laissé par la destruction d'une partie du 50 galerie de l'Arlequin. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Le carrefour de la rue des Peupliers et de la ligne A du tram. À gauche, le nouveau parking silo. Au fond, le vide laissé par la destruction d’une partie du 50 galerie de l’Arlequin. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

Je suis sonné. Premier constat, je suis vivant, je n’ai rien, du moins il me semble, déjà des gens se précipitent sur le lieu de l’accident pour nous venir en aide à moi et aux éventuels blessés dans la rame. Deuxième instant de panique, ai-je blessé des passagers ? J’arrive à m’extraire de la voiture, un peu déboussolé mais je n’ai rien, absolument rien, je suis rapidement rassuré par un agent de la Tag très rapidement arrivé sur les lieux. Pas de blessé à bord : « c’est que de la tôle, tout va bien, calmez-vous ». Entre temps, mille interrogations qui se télescopent dans ma tête et qui trouvent des réponses instantanées, certaines rationnelles, d’autres non : qu’est ce que j’ai fait ? Je viens de griller une priorité, j’ai embouti un tram ! Est-ce que je vais être conduit au tribunal pour ça ? Peut-être… c’est pas tous les jours qu’on percute un tram… et le regard du conducteur qui me fixe l’air blasé « encore un chauffard ! » qu’il doit se dire. Pourtant non, tout, mais pas ça, je ne suis pas un chauffard, jamais eu encore d’accident responsable en plus de dix ans de conduite. Un moment d’inattention, un seul, qui aurait pu me coûter la vie, blesser les usagers du tram et je n’ose même pas imaginer ce qui se serait produit s’il y avait eu des piétons sur la chaussée à ce moment-là.

Le policier qui arrive très rapidement fait son boulot, blasé, lui aussi, les habitants l’interpellent, un chauffeur-livreur lui signifie : « le mois dernier c’était moi, c’est dangereux ici, on l’a déjà signalé, qu’est-ce que vous attendez, un mort ? » L’agent : « Y a un feu pourtant ! » Le chauffeur : « Quand il fonctionne… ». Une mère de famille qui passe un peu plus tard « Mon fils a eu un accident ici même ! » Il semble qu’il s’en soit sorti moins bien que moi, mais il va mieux à présent : « Dieu a été bon avec vous » me dit-elle. L’agent de la Tag continue de me rassurer malgré les suppliques des habitants qui trouvent le carrefour excessivement dangereux « Mais la Tag n’y est pour rien, c’est à la mairie de faire un aménagement ». D’autres habitants se succèdent et s’estiment une nouvelle fois lésés : « En ville, ils ont installé des barrières comme pour les passages à niveau, pourquoi pas ici ? » Toujours un peu sous le choc je ne sais pas trop quoi répondre à ces déclarations qui visent pourtant à me soutenir. Responsable, je le suis assurément, j’ai grillé la priorité, je n’ai pas vu le marquage au sol, et puis j’en viens à me demander, sans minorer ma responsabilité, qu’il serait sans doute judicieux de matérialiser plus surement le danger que constitue l’angle mort avec la voie de tram, de remplacer le céder le passage et le feu clignotant par un stop et un feu rouge, d’envisager une barrière ou au moins un ralentisseur en amont.

Un immense merci aux habitants et aux camarades qui sont venus me soutenir un instant, merci à l’agent de la tag, aux pompiers, au dépanneur qui ont tous fait preuve d’un vrai professionnalisme.

Merci aux élus qui entendront que le danger réel que représente ce carrefour ne doit pas être exclusivement assumé par l’automobiliste « inconscient » et qui reconnaitront, s’ils n’y travaillent déjà, qu’une meilleure signalétique doit être envisagée si elle peut sauver des vies.

La soirée a finalement pu avoir lieu normalement, les jeux en bois ont, semble-t-il, bien plu aux usagers et le soir venu tous les habitués du café et les collègues ont cherché à me réconforter. Je tenais ici à leur témoigner de toute ma gratitude et de toute mon affection. « Alors comment tu vas ? » Ben ça va, ça va même beaucoup mieux grâce à vous tous. La Villeneuve c’est aussi ça, la Villeneuve c’est surtout ça : une grande famille qui vous adopte sans chichi et sur laquelle on peut compter dans les coups durs.