« L’immigration a constitué la France »
Gérard Noiriel étudie l’immigration depuis la fin des années 80. L’exposition Histoire de l’immigration en France est une de ses dernières réalisations. (photo : BB)

Mardi 31 mars a eu lieu le vernissage de l’exposition Histoire de l’immigration en France, au Patio. Gérard Noiriel, historien et concepteur de l’exposition, était présent pour présenter son travail. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) depuis 1994, l’historien a été un des premiers à s’intéresser à la question de l’immigration avec son livre Le Creuset français (Seuil, 1988). En 2007, pour protester contre la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, il démissionne de son poste au musée de l’histoire de l’immigration. Mardi, avant de donner une conférence salle 150, l’historien a accordé quelques minutes au Crieur.

Votre exposition présente une frise chronologique de l’immigration qui commence en 1880. Pourquoi cette date ?

Le mot immigration apparaît en français dans les années 1880. Avant, on parlait simplement de migrations. L’immigration nécessite deux choses : un déplacement dans l’espace et le franchissement d’une frontière. Donc elle implique la question de la nationalité, qui n’a vraiment émergé qu’avec la 3e république [en 1870, ndlr].

Deux jours après les résultats des départementales, avec un Front national qui recueille 25 % des voix, l’exposition est-elle une réponse aux succès électoraux du FN ?

C’est une réponse au Front national avec un décalage de 30 ans. Je suis devenu chercheur en réponse à l’émergence de Jean-Marie Le Pen en 1984 (1). Du point de vue des faits, des arguments contre le FN, tout a été démontré : ce que l’immigration apporte à la France, comment l’immigration a constitué la France. L’immigration ne devrait plus être utilisée comme argument de bonne foi en politique. Le problème, c’est que certains politiciens ne sont pas de bonne foi.

Après 30 ans d’études de l’immigration, ces résultats du FN sont un constat d’échec ?

Il y a une certaine banalisation du discours anti-immigration de la part des médias. Depuis 30 ans, je suis en conflit avec les journalistes. Pas tous, disons les journalistes des journaux dominants. Quand ils m’interrogent, ils me disent : « Oui, vous avez raison, mais je ne peux pas faire mon article avec ça. » Ils ne recherchent que les mauvais côtés. C’est toujours le même problème, on ne montre que les aspects négatifs, on ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure. Les médias ont une lourde responsabilité dans l’acceptation de ce discours anti-immigration.

L'exposition Histoire de l'immigration explique, sur 130 ans, l'origine des migrations. (photo : BB)

L’exposition Histoire de l’immigration explique, sur 130 ans, l’origine des migrations. (photo : BB)

Quand vous voyez que Zemmour est le plus grand vendeur de livres en France… Alors que c’est d’une nullité absolue ! Mais il peut facilement faire son autopromotion à la télé. On se retrouve face à un pouvoir énorme, c’est difficile de lutter.

Et puis, il faut être franc, l’être humain a une certaine adhésion à ce discours, il y a toujours cette opposition entre « eux » et « nous ». C’est un discours qui marche très bien. Mais l’Histoire rappelle que l’exploitation politique des préjugés mène les sociétés à la catastrophe. Ça a été le cas avec les deux guerres mondiales.

Alors on essaye de s’adresser aux gens. De leur dire que, même s’ils ne sont pas directement concernés par la question de l’immigration, ils n’ont pas intérêt à ce que l’extrême droite arrive au pouvoir.

Ce n’est pas un hasard si la xénophobie augmente lors d’une crise…

Mais le problème majeur est économique et social. Pourquoi y a-t-il une augmentation de la xénophobie quand il y a une crise ? Ce n’est pas un hasard, c’est qu’il y a un besoin de trouver un responsable à la crise. Alors que le problème de fond, ce sont les inégalités sociales !

Les réfugiés qui traversent la Méditerranée, le drame des naufrages, les contrôles accrus aux frontières, on a l’impression que l’Europe se replie sur elle-même.

Le problème du droit d’asile est un vrai scandale. Le droit d’asile – qui était une tradition européenne – s’est écroulé, notamment en France. La France est le premier pays à avoir intégré le droit d’asile dans sa constitution, en 1793. Aujourd’hui, en France, ça concerne moins de 200 000 personnes. Quand on compare à la Turquie qui accueille des centaines de milliers de réfugiés syriens… Ce sont toujours les pays les plus pauvres qui accueillent le plus de réfugiés.

Dans le même temps, il y a une stigmatisation des « faux réfugiés ». On accuse ces gens de ne pas vraiment être des réfugiés mais de venir pour « voler notre travail ». C’est bien beau d’aller pleurer sur le sort des gens qui combattent les dictatures, mais il y a une telle hypocrisie à ne pas les accueillir !

À qui s’adresse cette exposition ?

L’exposition s’adresse à tout le monde. L’immigration, c’est l’histoire universelle. Les civilisations se sont développées grâce à l’immigration. Mais aujourd’hui, alors qu’il n’y a jamais eu autant de facilité à se déplacer, on n’a jamais autant limité les migrations. C’est la première fois depuis 1850 que les flux migratoires sont aussi faibles en France.

L’exposition sert aussi à lutter contre l’intolérance. C’est le rôle de l’historien de regarder dans le rétroviseur. Par exemple, en 1894, un anarchiste italien tue Sadi Carnot, le président de la République. À l’époque, il y a eu les mêmes débats qu’actuellement sur les liens entre immigration et terrorisme. De même, la question religieuse s’est déjà posée auparavant, par exemple avec le judaïsme. On disait que les juifs n’étaient pas compatibles avec les valeurs chrétiennes de la France.

Alors, quand le FN fait référence à la tradition française, moi je dis oui : celle de la tradition de l’immigration !

L'exposition est visible au Patio jusqu'au 25 avril. (photo : BB)

L’exposition est visible au Patio jusqu’au 25 avril. (photo : BB)

L’exposition

En 11 panneaux, l’exposition retrace de façon chronologique, par le biais d’une frise qui s’étend de 1880 à 2011, et thématique (le travail, le rapport à la loi, etc.) l’histoire de l’immigration en France. Dans un mélange de chiffres, de rappels historiques, d’archives et de témoignages, l’exposition retrace les débuts de l’immigration et rappelle qu’elle a principalement deux raisons, économique (trouver du travail) et politique (le droit d’asile). Avant 1880, les étrangers peuvent entrer et sortir librement de France, sans contrôle. La loi sur la nationalité de 1889, qui oblige les étrangers nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés en France (le double droit du sol) à adopter la nationalité française, sépare de fait Français et étrangers. Ces derniers doivent désormais obtenir un « droit de séjour » pour résider et travailler en France. Si ce droit leur est refusé, ils sont menacés d’expulsion.

L’exposition éclaire aussi sur les apports de l’immigration, tant au niveau culturel qu’économique. Et montre la face sombre des politiques d’immigration, avec la mise en place des premiers camps de concentration (sic), pendant la Première guerre mondiale, où sont enfermés les immigrés originaires des pays en guerre contre la France. Jusqu’à la création des centres de rétention, en 1981, pour légaliser les centres d’internement de la police française.

Exposition Histoire de l’immigration en France
Du 31 mars au 25 avril
Direction scientifique et conception : Gérard Noiriel
Organisée par La Régie de quartier Villeneuve – Village Olympique et AlterEgaux Isère
Maison des habitants Le Patio
97 galerie de l’Arlequin


(1) En février 1984, Jean-Marie Le Pen passe pour la première fois – sur demande de François Mitterrand – dans l’émission politique L’Heure de vérité, sur Antenne 2. Lors des élections européennes de juin 1984, il est élu député européen.