La Villeneuve en documentaire à la Cinémathèque
Lundi 31 octobre, la Cinémathèque retraçait l’histoire de la Villeneuve à travers trois moyens métrages. (photo : image tirée des archives de Videogazette présentes dans le film Villeneuve)

La Cinémathèque de Grenoble, pour la seconde fois, s’intéresse à La Villeneuve à travers trois documentaires. Présentée par Nicolas Tixier, enseignant-chercheur à l’École nationale d’architecture, située à La Villeneuve, la soirée Traversées urbaines a réuni une soixantaine de spectateurs.

Lundi 31 octobre s’est tenu une soirée spéciale sur La Villeneuve à la Cinémathèque de Grenoble. La soirée s’inscrivait dans le cycle Traversées urbaines qui s’intéresse à la place de la ville dans le cinéma, qu’il soit de fiction ou documentaire. Trois moyens métrages étaient projetés, rassemblant une soixantaine de spectateurs. Trois films sur le passé de La Villeneuve, deux d’époque et un actuel.

Monsieur Mars

Monsieur Mars, de Jean-Jacques Henry, est un film documentaire sorti en 1972. Il suit le quotidien – ou plutôt le nocturne – de monsieur Mars, gardien de nuit à la Maison de la Culture, inaugurée en 1968. Dans des longs couloirs obscurs, monsieur Mars, équipé en tout et pour tout d’un sifflet (« C’est ben déjà quelque chose », s’en contente-t-il), croise parfois des « rôdeurs armés de revolvers ». La Maison de la Culture a refusé d’installer un système d’alarme, trop cher.

Le film dresse un habile parallèle entre le boniment de la salle de spectacles, « maison pour tous », « ouverte à tous sans distinction de classes », et la situation de monsieur Mars. Paysan victime de l’exode rural, il travaille 54 heures par semaine pour 650 francs par mois, à 63 ans. Le spectateur s’attache à cette personne, poète à ses heures perdues. Mais le plus touchant reste la superbe citation de fin de monsieur Mars, qui déclare : « Je préférerais retourner à la culture. » S’entend la « vraie » culture, l’agriculture.

La Forme de la ville

Le second documentaire proposé était La Forme de la ville, d’Éric Rohmer et Jean-Paul Pigeat. C’est la troisième partie d’une série de quatre reportages, Ville nouvelle, pour la télévision, diffusée en 1975. Les cinéastes interrogent l’AUA, Atelier d’urbanisme et d’architecture, une équipe d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes, qui a cherché à révolutionner les grands ensembles dans les années 60 et 70. Parmi leurs réalisations, la Villeneuve, en particulier le quartier de l’Arlequin. Interviewée au pied de l’Arlequin, l’équipe explique les atouts de la Villeneuve : « En concentrant les habitants, on libère l’espace pour les équipements et pour le parc. », les voitures sont rejetées en dehors du quartier, la galerie « rue piétonne » est le cœur du quartier et doit être modulable, « pour que les habitants puissent construire de nouveaux espaces ».

Interrogés sur le mélange entre classes moyennes et classes populaires dans le quartier, ils portent un regard critique sur leur réalisation : « Il y a deux types de populations : ceux qui ont du temps libre, qui utilisent les équipements, et les autres, la grande masse, les travailleurs, qui ne participent pas. »

Le documentaire enchaîne ensuite sur leur projet de ville nouvelle à Évry, qui n’a pas été retenu par les pouvoirs publics. Certains éléments architecturaux de la Villeneuve s’y retrouvent, comme cette grande barre, surmontant un axe de communication en galerie, entourée d’un parc. Trop gros, trop futuriste, le spectateur peut paraître soulagé que le projet n’ait pas été choisi.

Le documentaire est un peu daté mais il est intéressant de voir cette bande d’architectes en pull de laine enchaîner les clopes et discourir sur la notion d’espace et sur le sens social de leur construction.

Extrait gratuit de La Forme de la ville, sur le site de l’INA.

Villeneuve

Troisième et dernier film, Villeneuve, d’Agathe Poche, est un film de fin d’études de la Femis. La jeune réalisatrice était présente pour présenter son film, à mi-chemin entre l’autobiographie – les relations entre ses parents, dont son père qui a vécu à la Villeneuve – et le film d’archives. Le moyen métrage utilise de larges extraits de Videogazette, la télévision locale par câble qui a fonctionné à l’Arlequin de 1974 à 1976. Le gros travail de mise en valeur de ces témoignages sur le quartier permet d’être au plus près de la parole des habitants.

Enfin, d’une partie des habitants, puisque le film montre bien que, dès le début, les critiques envers le quartier et son fonctionnement fusent. De quoi mettre à mal la notion d’utopie originelle portée par certains. En 1975, déjà, des habitants s’interrogent sur la non-représentation de certains dans le quartier. Une habitante se désole de ne « jamais voir d’ouvriers ou de femmes maghrébines » dans les réunions. Un immigré explique ne pas se sentir à l’aise dans ces « réunions d’intellectuels », de ne pas en avoir les codes, le discours, le temps.

Déjà, des questionnements sur le fonctionnement des écoles libres apparaissent. Certains parents se plaignent d’une éducation laxiste, que leurs enfants ne sachent pas lire, à la différence des enfants de classe moyenne qui bénéficient de l’aide de leurs parents. Déjà, des « fuites » dans les écoles. Une habitante explique s’être installée dans le quartier pour ses écoles ouvertes. Avant de décider de retirer sa fille des écoles de la Villeneuve car il y avait « trop d’enfants d’immigrés ».

Débat

La soirée était introduite par Sibylle Le Vot, doctorante en histoire de l’architecture qui étudie La Villeneuve, qui a tenu à rappeler les conditions de création de La Villeneuve. « La ZUP de La Villeneuve est créée à cheval sur les communes de Grenoble et d’Échirolles, sur l’emplacement de l’ancien aéroport. Henry Bernard a été le premier architecte, choisi sous Albert Michallon [maire de Grenoble de 1959 à 1965, ndlr]. Quand Hubert Dubedout arrive à la mairie, en 1965, il trouve qu’Henry Bernard a une vision rétrograde. La ZUP de Henry Bernard est principalement résidentielle, manque d’équipements et la composition est trop classique. L’AUA, une jeune équipe d’architectes est choisie grâce à Maurice Blanc, élu à la mairie de Grenoble et architecte lui aussi [il fut aussi le concepteur des résidences 2000, le quartier nord de la Villeneuve, ndlr]. L’AUA est une coopérative de moyens qui emploie des architectes, des urbanistes, des paysagistes, ce qui est assez novateur pour époque. Le projet de la Villeneuve est conçu en réaction aux grands ensembles :

  • plusieurs quartiers autour d’un parc — donc plusieurs étapes de construction — ce qui entraîne une forte densité ;
  • une forme architecturale linéaire, le long d’un axe de communication, la galerie ;
  • une distinction entre les piétons et les voitures, qui sont rejetées en dehors du quartiers ;
  • une imbrication des logements et des équipements (écoles, commerces, gymnases, bâtiments municipaux). »

Après les projections, les questions ont été plutôt timides. Un spectateur constate qu’« une partie des problèmes de la Villeneuve actuelle sont déjà présents à l’époque ». Un autre enchaîne : « Ces films remettent en cause le discours sur la rupture entre une utopie puis un échec. » Ce que confirme Sibylle Le Vot : « En 1981, un film s’interroge déjà : Faut-il détruire la Villeneuve ? »

Cycle séminaire “Traversées Urbaines”- 7ème saison – Troisième soirée from Cinémathèque de Grenoble on Vimeo.