Villeneuve se fait ses films
Tournage du prochain court des Films de la Villeneuve : (de gauche à droite) Dorian Allibe, Teddy Lukunku (Kunta Kinte), Naïm Aït-Sidhoum, Ophélie Carpentier, Julien Perrin. (photo : Renaud Menoud, Les Films de la Villeneuve)

Après Guy Moquet et Africa, Les Films de la Villeneuve (anciennement Vill9 la série) préparent un nouveau court métrage. Rencontre avec Naïm Aït-Sidhoum, Julien Perrin et Ophélie Carpentier, trois des membres de la troupe.

Le Crieur : Quel va être le sujet de votre prochain film ?

Tournage de La Légende de Kunta Kinte, en juillet 2018. (photo : Renaud Menoud, Les Films de la Villeneuve)

Tournage de La Légende de Kunta Kinte, en juillet 2018. (photo : Renaud Menoud, Les Films de la Villeneuve)

Les Films de la Villeneuve : La Légende de Kunta Kinte — c’est le titre provisoire — sera un court métrage d’environ une demi-heure. Il devrait sortir courant 2019, on cherche encore l’argent pour payer la post-production. On a fait trois semaines de tournage en juillet, en totalité dans le parc de la Villeneuve. On a réuni 13 acteurs, tous de la Villeneuve, dont certains jouaient déjà dans nos films précédents [voir encadré ci-dessous], mais il y a aussi eu du renouvellement. Le film est une adaptation libre de Racines, un roman d’Alex Haley, qui a notamment écrit la biographie de Malcom X. Le roman raconte l’histoire de Kunta Kinte [personnage semi-fictif], un homme né en 1750 en Afrique de l’Ouest, capturé et emmené en esclavage aux États-Unis. Il se rebelle, se fait couper un pied. Son histoire sera transmise part ses descendants, jusqu’à Alex Haley. Je ne connaissais pas ce personnage, c’est Teddy Lukunku, l’acteur principal, qui a eu l’idée du film. Il a dû voir l’adaptation en feuilleton de Racines quand il était petit. Kunta Kinte est une sorte de symbole : Teddy avait envie de le jouer et de raconter son histoire.

Pourquoi tourner ici, à Villeneuve ?

Le parc de la Villeneuve s’adaptait bien, il cadrait avec la fiction : les grands espaces, les champs de coton… Il y a un truc plastique fort. Africa

était un huis-clos. Là, l’enjeu était d’aller dehors. On a tiré partie des buttes, des morceaux de forêt. Mais parfois, les immeubles apparaissent dans le cadre : on est tout le temps en train de se demander si c’est vraiment une fiction, ce qui apporte un trouble par rapport au temps. Dans le film, les acteurs discutent de ce qu’ils sont en train de faire, presque comme si les personnages s’interrogeaient sur leurs actions. Les costumes ressemblent à des costumes d’époque mais sans être tout à fait ça. Symboliquement, c’est dur de tourner un film comme ça dans le quartier. Ce n’est pas rien d’habiller des gens en esclaves ou en esclavagistes dans le parc. Mais c’est fort et beau, ça crée une espèce de tension.

On préparait le tournage depuis mars, en faisant des séances de lecture collective. Il fallait surtout qu’on sente les acteurs investis et qu’ils s’impliquent dans le dialogue, des gens capables de discuter du sujet. Ainsi, la figure du héros a été un peu remise en cause pendant le tournage : était-il vraiment tout seul ? Pourquoi ne pas mettre en avant une femme ? Le scénario et les dialogues ont énormément changé au fil du temps et on a beaucoup eu recours à l’improvisation.

Courts métrages à succès
Il y a d’abord eu Guy Moquet, en 2014, réalisé par Demis Herenger et produit par Vill9 la série, tourné dans le quartier avec des acteurs, pour la plupart amateurs, du quartier. Sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, et pour les Césars, le court métrage raconte l’histoire d’amour difficile à concrétiser de deux jeunes. Africa, réalisé par Naïm Aït-Sidhoum en 2017, dépeint la création difficile d’un spectacle, sur le thème de l’Afrique, par des jeunes du quartier accompagné par un metteur en scène bourré de stéréotypes.

Comment se sont déroulées les séances de tournage cet été ?

Sur le tournage, tout le monde est payé pareil. C’est un moment égalitaire, une forme heureuse de fonctionnement. Ça fait écho dans le quartier ce partage, l’idée que le premier rôle accepte d’être payé pareil que le dixième. Surtout, ça permet d’apporter une réflexion sur le travail entre les films et sur le système économique. Comment faire pour donner du travail à des gens de la Villeneuve ? Comment filmer la Villeneuve ?

L’enjeu désormais, pour nous, c’est de trouver comment faire pour que le tournage – pas forcément le film, mais le tournage – dure plus longtemps, car les réflexions intéressantes sont arrivées à la fin du tournage. C’est-à-dire comment faire pour avoir plus de temps avec les acteurs, les habitants. Pour cela, il faut qu’on trouve des stratégies de tournage. On tourne nos films avec peu de moyens, mais avec du temps, même si au bout d’un moment, le temps coûte cher…

Naïm Aït-Sidhoum et Julien Perrin. (photo : Dorian Degoutte, Les Films de la Villeneuve)

Naïm Aït-Sidhoum et Julien Perrin. (photo : Dorian Degoutte, Les Films de la Villeneuve)

Guy Moquet et Africa ont remporté de nombreux prix, quel effet ça fait de changer de dimension ?

On ne veut pas changer de dimension, la question c’est plutôt comment faire pour être encore moins nombreux sur les tournages. On n’est pas dans la décroissance, c’est trop connoté, mais on est à la recherche de notre propre modèle économique : sans hiérarchie, tout le monde payé au même salaire, une orientation du budget plutôt vers les salaires que la location de matériel. On ne cherche pas à courir après les festivals, qui ont un fonctionnement très capitaliste, avec des sélections, il faut se vendre, etc. Nous, notre travail s’arrête au moment où le film est montré à l’Espace 600.

Grâce à vos films, vous changez l’image du quartier ?

Ce qu’on fait aura plus d’impact dans le temps qu’un reportage télé. Ce qu’on fait est peut-être moins éclatant, mais ça durera plus longtemps. On cherche à imposer un autre rapport au temps, on n’est pas dans l’actualité.

Vous tournez dans un quartier mais on retrouve assez peu les thématiques habituelles des « films de banlieue », pourquoi ?

Il y a très peu d’indicateurs sociologiques dans nos films. Ils sont déjà dans les lieux, dans la façon d’être des acteurs, la façon dont ils parlent. On ne cherche pas à transformer nos acteurs, à les faire parler autrement. On évite les clichés sur les films dans les banlieues, en évitant de verser dans les clichés inverses. Ce n’est ni social, ni onirique, ou pseudo-artistique, comme tu veux. Les thématiques de nos films sont liées aux enjeux que se posent les acteurs.

Comment est née votre association, installée dans le quartier ?

Les acteurs du film. (photo : Dorian Degoutte, Les Films de la Villeneuve)

Les acteurs du film. (photo : Dorian Degoutte, Les Films de la Villeneuve)

À la suite des événements de 2010 [émeute à la Villeneuve ayant entraîné le « discours de Grenoble » de Sarkozy, ndlr], la Ville a passé commande pour créer un format artistique avec les habitants. On a proposé le format de la série télé mais, très vite, on s’est rendu compte qu’on était en inadéquation avec les enjeux de l’industrie télévisuelle. Le premier pilote a été filmé. La suite a abouti à Guy Moquet, ce qui a en quelque sorte mis fin à notre contrat avec la ville. On a changé le nom de l’association (de Vill9 la série aux Films de la Villeneuve), pour être plus en cohérence avec ce qu’on fait. Les deux premières années ont été un peu dures mais Guy Moquet a été un bon paravent aux critiques. La question de la légitimité s’est effacée avec le temps. Il y a eu des critiques au début : pourquoi, dès qu’il y a un nouveau projet à la Villeneuve, ce sont des gens de l’extérieur qui le mènent ? On n’a pas vraiment réponse à ça… On a abordé cette question dans Africa : pour nous les interventions extérieures dans le quartier sont assez violentes. On a été très étonnés de voir qu’autant de spectateurs ont pris le parti du rôle joué par Demis [Demis Herenger incarne un metteur en scène étranger au quartier qui se désole que les jeunes rechignent à participer à son projet, conçu sans eux, ndlr], alors que pour nous, clairement, il y avait une dénonciation de ça…

Le film
La Légende de Kunta Kinte (titre provisoire)
De Naïm Aït-Sidhoum, Julien Perrin et Ophélie Carpentier (Les Films de la Villeneuve)
Avec Teddy Lukunku, Samrah Botsy, Ben Ahamadi, Erika Botsy, Chris Ntumba, Dorian Allibe, Elias Aït-Ouaret, Mamadou Traore, Sana Belaïd, Souleymane Botsy, Terry Muamba, Sahra Mokeddem, Yazid Zanzoune et Hawa Diallo.