Saïd Bouamama : « La solution aux inégalités passe par la solidarité »
Saïd Bouamama, à la Villeneuve, le 20 novembre 2015. (photo : BB)

Parmi les fondateurs du Front uni des immigrations et des quartiers populaires, le sociologue et militant Saïd Bouamama était invité à la Villeneuve pour une rencontre autour du concept d’enfermement dans les quartiers populaires. L’occasion pour les participants d’échanger entre eux et avec le sociologue.

Vendredi 20 novembre, la salle polyvalente des Baladins est trop petite pour accueillir tout le monde pour cette rencontre « Pour comprendre » qui s’intéresse à la notion d’enfermement dans les quartiers populaires. Certes, les 130 personnes se pressent pour écouter Saïd Bouamama, « sociologue et militant » (il tient à l’alliance des deux termes), mais aussi pour participer aux tables de discussion entre habitants. Face au manque de tables, des espaces de dialogue sont aménagés à même le sol.

Les participants réunis en tables rondes discutent des solutions face à l'enfermement. (photo : BB)

Les participants réunis en tables rondes discutent des solutions face à l’enfermement. (photo : BB)

Succès donc pour cette rencontre-conférence organisée par le collectif d’association(1) déjà à l’origine de la venue d’Abdelaziz Chaambi et Michel Kokoreff en mars (si vous ne l’avez pas encore lu, Le Crieur a publié la retranscription de ces échanges). Dans les tables de discussion, animées, les participants proposent des solutions pour lutter contre l’enfermement : les échanges sportifs ou culturels, la réappropriation des espaces publics, la réforme des programmes scolaires afin de donner une part plus grande à l’émigration et… la mixité sociale.

Les mots trompeurs

Des concepts que Saïd Bouamama remet en cause. Ainsi, sur la mixité sociale : « tout le monde la revendique, il faut vous en méfier ! » Problème, selon le sociologue, le double discours qui entoure la mixité sociale : « Depuis 30 ans, on dit : « Le problème des quartiers populaires, c’est que les pauvres sont entre eux. » Non ! Le problème des quartiers populaires, c’est parce qu’ils sont pauvres, c’est pas parce qu’ils sont entre eux. Car derrière le modèle de mixité sociale, il y a celui du modèle colonial, qui est de dire : « Si on arrive à mettre dans les quartiers populaires des couches moyennes, elles vont montrer aux ouvriers et aux chômeurs comment se comporter… » »(2)

Un mot trompeur que Saïd Bouamama rapproche de celui de vivre-ensemble : « Le problème, c’est pas le vivre ensemble. C’est celui de vivre ensemble égalitaire. C’est la question de l’égalité qui est posée. Vous savez, le maître et l’esclave, ils vivaient ensemble. Mais ils étaient pas égaux ! »

Quatre processus

Le sociologue met en avant quatre « grands processus qui traversent la vie des classes populaires et des quartiers populaires ». Tout d’abord, « la paupérisation massive » des classes populaires, avec pour principal effet « la perte de repères amenée par la culture ouvrière, très socialisatrice, qui structurait les quartiers populaires ». « De manière générale, il y a une fragilisation des espaces de socialisation » dans les quartiers populaires, ajoute Saïd Bouamama.

Saïd Bouamama tient à critiquer certains termes comme celui de mixité sociale. (photo : BB)

Saïd Bouamama tient à critiquer certains termes comme celui de mixité sociale. (photo : BB)

Puis, le « processus de précarisation », avec l’enchaînement de contrats précaires, qui « inverse l’ordre des générations : dans le passé, les parents et leurs enfants étaient persuadés que les enfants allaient avoir des conditions de vie meilleures que celles des parents ». Cette inversion met à mal le principe même d’émigration car, comme le rappelle Saïd Bouamama, « Un émigré migre pour que ses enfants vivent mieux que lui. »

Troisième processus pointé par le sociologue-militant, celui de « discrimination » : « S’il y a un pays où il y a eu une hypocrisie collective, c’est bien la société française. En France, cela fait seulement 10 ans qu’il y a une reconnaissance des discriminations en fonction de l’origine. Il y avait une hypocrisie qui était de dire : puisque c’est écrit « Liberté égalité fraternité », c’est que les discriminations ne peuvent pas exister. Mais tout le monde n’est pas égal face à une épreuve aussi forte que de s’apercevoir qu’on n’a pas les mêmes chances que les autres concitoyens. »

Enfin, Saïd Bouamama critique l’« ethnicisation des explications », menace pour les liens qui unissent les habitants des quartiers populaires. « Depuis 30 ans dans les médias et dans le débat politique, on n’explique plus la réalité par des causes économiques, par des causes sociales, par des causes d’inégalité, on les explique par des causes culturelles, des causes religieuses, etc. Ces explications viennent casser le lien social dans les quartiers populaires parce qu’elles ne nous amènent pas à rechercher ce qu’il y a de commun avec mon voisin — nous sommes tous les deux locataires et nous avons tous les deux besoin de nous battre pour diminuer les loyers — elles nous amènent à regarder ce qui me différencie de lui, ce qui m’oppose à lui. »

Enfermement contre solidarité

Cette rencontre "Pour comprendre" préfigure une université populaire à la Villeneuve encore en construction. (photo : BB)

Cette rencontre « Pour comprendre » préfigure une université populaire à la Villeneuve encore en construction. (photo : BB)

Ces quatre processus mènent, selon le sociologue, à un sentiment d’enfermement vécu par les habitants des quartiers populaires. Pire, « l’intériorisation de cet enfermement » les conduit à un repli sur eux-mêmes : « Je vais avec ceux qui me semblent maîtriser, ceux qui me semblent comme moi, et donc je suis moi-même dans un processus d’auto-enfermement. », explique Saïd Bouamama.

Cet enfermement conduit, selon le sociologue, à « une inégalité face au champ des possibles, en fonction des classes sociales » qui est « une des plus grandes inégalités en fonction du lieu de naissance ou du lieu où l’on habite. »(3) Prenant l’exemple des jeunes, il ajoute : « Un enfant de 10 ans issu de couche moyenne pourra citer 100 emplois. Un enfant issu d’un quartier populaire ne pourra en citer que 15. D’emblée, ce dernier entre dans la vie avec une inégalité structurelle. »

Face à ce constat, le sociologue met sa casquette de militant et appelle à ne pas baisser les bras : « À la base de tout ça, il y a la fragilisation du lien social dans nos quartiers. Donc la solution doit être cherchée non seulement dans le développement de la solidarité mais aussi des espaces où on pense ensemble et on agit ensemble. » Exactement ce qui a lieu ce vendredi soir pendant près de quatre heures.

 

Ndlr : Une retranscription complète des débats et des interventions de Saïd Bouamama est en cours de rédaction. Elle sera publiée prochainement sur Le Crieur.


(1) Mix’Cité, Modus Operandi, Pas sans nous, Régie de quartier Villeneuve-Village Olympique, Union de quartier Villeneuve 2, Villeneuve Debout.

(2) Lire à ce sujet l’essai de Matthieu Giroud, chercheur en géographie, mort dans l’attentat du Bataclan vendredi 13 novembre. Dans cet essai publié le 3 novembre, Mixité, contrôle social et gentrification, l’auteur écrit : « il nous a toutefois paru important de rappeler que la mixité sociale, comme référentiel d’action ou principe militant et humaniste, conduit souvent au contrôle des classes populaires et de leurs modes d’appropriation du quartier. »

(3) La loi de programmation pour la ville du 21 février 2014 a certes introduit la notion de discrimination territoriale, en fonction du lieu de résidence, mais les inégalités demeurent.