Marie et Christophe, à la récolte des sons de la Villeneuve
In Situ est un projet de collectage musical fondé, porté autres, par Marie Mazille et Christophe Sacchettini, deux musiciens de la Villeneuve (photo : Benjamin Bultel)

Marie Mazille et Christophe Sacchettini sont deux musiciens professionnels installés dans le quartier. Depuis un an, ils orchestrent le projet musical de collectage In Situ, porté par l’association Sasfé. Rencontre avec deux artistes qui s’accordent parfaitement.

Dans l’appartement de la galerie de l’Arlequin, la dizaine d’habitants s’agglutinent autour de la table à manger. Thés et tisanes sont de sorties pour cette fin de journée pluvieuse de novembre. Journaux, partitions et CD traînent sur la table du salon et sur le bureau. Un violon est accroché au mur. Pas de doute, un appartement de musiciens. Celui du couple Marie Mazille et Christophe Sacchettini,

Marie Mazille, une musicienne à l'Arlequin (photo : François Fourel).

Marie Mazille, une musicienne à l’Arlequin (photo : François Fourel).

la quarantaine et les cheveux courts tous les deux. Ce soir-là, ils accueillent le « filage(1) » du spectacle d’In Situ, un groupe qui rassemble musiciens pros et habitants amateurs dans un concert qui mêle sons collectés dans le quartier, musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs.

Marie Mazille est arrivée à la Villeneuve en 2005. Pas vraiment pour le décor, mais parce que « les appartements n’étaient pas chers à l’achat ». Plutôt partagée au début : « certaines de mes amies disait que c’était risqué d’aller là-bas, d’autres disaient que ce n’était pas si horrible. » Une séparation plus tard, Marie et ses deux enfants s’installent en location galerie de l’Arlequin. Pas question de quitter la Villeneuve maintenant, « j’étais convaincue des côtés positifs de la Villeneuve, et puis, mes voisins étaient sympas », explique-t-elle.

Engagement artistique

Christophe Sacchettini fait partie de plusieurs groupes de musique traditionnelle (photo : BB).

Christophe Sacchettini fait partie de plusieurs groupes de musique traditionnelle (photo : BB).

Pas vraiment la même chanson du côté de Christophe Sacchettini. « Il était beaucoup moins dithyrambique que moi sur le quartier », admet Marie dans un sourire. Quand Christophe et Marie ont emménagé ensemble, la seule solution qui s’offrait était la Villeneuve. « Logique immobilière », selon Christophe, qui préfère corriger : « Je n’avais pas vraiment d’a priori sur la Villeneuve, je n’avais rien contre le fait d’habiter ici. »

Le musicien joue d’un autre air maintenant et met en avant la mémoire collective du quartier : « Cette mémoire collective existe dans d’autres quartiers, mais le plus souvent, elle n’est que le produit des vieux. Ici, c’est différent. » Une installation dans un quartier populaire aussi vécue comme une forme d’engagement artistique : « ça permettait de créer une passerelle entre mémoire et création ».

Deux vies dédiées à la musique.

À sa sortie du conservatoire, elle devient intervenante en musique, à Grenoble, une sorte de prof de musique, mais pour les écoles primaires. Un métier qui demande une bonne polyvalence : « Ça m’a amené à bosser sur la musique jazz, sur la musique trad, des choses pas enseignées au conservatoire. » En 1996, une amie lui propose de rejoindre Tsirba, un groupe de musique roumaine et tzigane. Marie y officie comme violoniste. « J’ai accepté un peu par hasard. De toute façon, je dis toujours oui. Mais ça aurait été du jazz, j’aurais accepté aussi. » Elle se met à l’impro – et à la flûte à bec. « J’ai découvert l’ambiance vivante des bal folks, je suis restée scotchée. »

Elle saute le pas en fondant son propre groupe, Kordévan, en 1996 toujours. Un groupe de musique éclectique : « On a fait notre sauce à nous, en diversifiant les influences. » Marie multiplie les collaborations avec des chanteurs et les commandes, allant jusqu’à composer la musique d’un spectacle de la Biennale de Lyon, en 2004. Après dix ans de travail comme intervenante, la musicienne lâche l’enseignement pour se consacrer pleinement à la musique, ravie d’entrer dans « le monde de l’intermittence ». Par le biais de ces groupes, elle fait la rencontre de MusTraDem, et donc de Christophe.

De la musique trad à la Villeneuve

MusTraDem, un nom un peu étrange pour Musique traditionnelle de demain, un collectif et un label de musiciens trad cofondé par Christophe Sacchettini. Lancé en 1990, le collectif a une conception bien précise de la musique traditionnelle : « La musique trad est de la musique vivante », explique Christophe, « à la différence de la musique classique par exemple, qui est figée ». Les membres de MusTraDem font de la musique actuelle basée sur des emprunts traditionnels. « La musique est toujours créée et interprétée dans un contexte. La rejouer, c’est forcément changer ce contexte, donc changer la musique », continue le musicien, lui aussi sorti du conservatoire. « Si tu réécoutes un chant trad français enregistré en 1905, c’est exotique, c’est comme écouter un chant esquimau du moyen-âge », explique-t-il, avec un brin d’exagération.
Musique trad

La musique trad est l’ensemble de la culture musicale propre à une culture géographique. La plupart du temps, les chansons trad sont transmises oralement, même si une grande entreprise de collectage a eu lieu dans les années 70, en France. À la différence de la musique folk (pour folklorique), la musique trad n’a pas pour objectif de recréer une musique d’époque mais de se la réapproprier. En France, le courant musical traditionnel le plus connu est la musique bretonne.

Une fois lancé, Christophe Sacchettini est intarissable sur la musique traditionnelle. Ce militant du trad pratique ce style depuis plus de 30 ans, au sein de plusieurs formations, comme le duo Frères de Sac, fondée avec son petit frère Jean-Loup Sacchettini, les groupes Dédale et Djal. Les membres de MusTraDem ne veulent pas faire de la musique trad « à la manière de » et préfèrent miser sur l’improvisation, un peu comme pour le jazz.

« Notre but, c’est pas d’aller enregistrer le dernier violoneux du Cantal, mais de faire des compositions de musique trad. » Une forme de transmission d’une musique historique, par la pratique et l’écoute, bien loin d’un apprentissage en école de musique, car, rappelle-t-il, « il n’existe pas d’histoire de la musique trad, pas d’école non plus ».

Collectages musicaux

Si les deux musiciens continuent leur participation au sein de leurs groupes respectifs, ils collaborent tous deux depuis un an et demi au projet musical In Situ (voir encadré ci-contre). À l’origine de cette formation mêlant musiciens professionnels et amateurs, Marie Mazille : « Je me souviens très bien de la scène : j’étais en bas de l’allée de la pelouse, je rentrais de Saint-Marcellin, où je faisais un collectage de comptines d’assistantes maternelles », raconte la musicienne. « Et là, ça a fait tilt ! Je me suis dit que le collectage, ça serait un truc génial à faire à la Villeneuve, que le quartier avait un énorme potentiel. » C’était en 2008. À l’époque, par manque de temps, elle ne donne pas suite au projet mais le garde dans un coin de sa tête.

In Situ

In Situ est un projet musical de collectage dans le quartier de la Villeneuve porté par l’association Sasfé à travers quatre musiciens professionnels : Marie Mazille, Christophe Sacchettini, Norbert Pignol et Patrick Reboud. Initié en janvier 2014, le projet a pour objectif de rassembler chants, musiques et sons d’ambiance du quartier. Un concert de restitution d’In Situ, rassemblant musiciens pros et amateurs, a eu lieu en juin 2014 à l’occasion du festival Quartiers Libres.

Lors de l'édition 2014 du festival Quartiers libres, In Situ sur scène (photo : Alain Sacchettini).

Lors de l’édition 2014 du festival Quartiers libres, In Situ sur scène (photo : Alain Sacchettini).

La reprise a lieu en 2013, lors d’une rencontre de musiciens trad de la CPMDT. Derrière cet acronyme barbare se cache le Collectif professionnel de musique et de danse traditionnelles, explique Christophe. Une sorte de syndicat de musiciens et de danseurs trad, créé « en réaction à la façon dont la Fédération de musique traditionnelle traitait avec l’État ». Lors de cette rencontre, Max Leguem, le musicien et directeur de la MJC de Ris-Orangis, parle d’un atelier ouvert dans son association. Un musicien y improvise de la musique traditionnelle, en laissant la porte ouverte à toutes les collaborations. Des collaborations forcément diverses et empreintes des différentes cultures qui habitent le quartier. « Je me suis dit que ça avait du sens de faire un lien entre la musique traditionnelle et un quartier populaire. Du coup, j’ai dit « il faut faire ça à la Villeneuve » », se souvient Marie Mazille.

Sauf qu’elle ne dispose d’aucun organisme, association ou autre, pour conduire le projet. « J’étais quasiment lancée quand la mobilisation en réaction au reportage d’Envoyé spécial a commencé. » Lors des AG, des idées fusent, Marie propose celle du collectage. À la même époque, des voisins de Marie et Christophe reprennent l’association villeneuvoise Sasfé, qui organise, entre autres, le festival Quartiers libres. Les deux musiciens sont associés au processus de reprise, Sasfé devient la structure porteuse du projet de collectage. In Situ — depuis un élément phare de Sasfé — est né.

À la clé, un concert lors de l’édition 2014 du festival Quartiers Libres, qui a réuni pendant une heure musiciens professionnels et amateurs. Depuis, les séances de collectage et les sessions musicales improvisées rassemblent les habitants. Et peu à peu se forme une bande-son du quartier.

Mix In Situ Villeneuve Grenoble Juin 2014 par asso-sasfe


(1) Répétition générale d’un concert dans les conditions réelles, mais sans public.