« Maintien du collège à la Villeneuve »
Vendredi 16 juin, après que des collégiens ont accroché des messages et des dessins sur la grille du collège. (photo : Benjamin Bultel, Le Crieur de la Villeneuve)

Suite à l’incendie du collège Lucie Aubrac le 11 juin, Sylvain Boulmé, habitant de la Villeneuve et parent d’élève, a écrit cette tribune réclamant le maintien du collège au sein du quartier. Une pétition allant dans ce sens a été lancée.

Une semaine après l’incendie volontaire du 11 juin 2017 qui a ravagé le collège Lucie Aubrac du quartier La Villeneuve à Grenoble, ce texte, écrit dans l’urgence de la lutte pour le maintien du collège sur le quartier d’ici la rentrée prochaine, essaie de rassembler les arguments que moi, simple parent et habitant du quartier, ai dû utiliser pour expliquer le sens de cette lutte. J’espère que d’autres pourront corriger ou compléter cette analyse…

Contre la délocalisation des collégiens de la Villeneuve

Avant de présenter pourquoi il faut maintenir le collège sur le quartier, je vais d’emblée répondre aux arguments que j’entends pour délocaliser nos collégiens à l’extérieur, voire les retourner. Ces arguments sont de deux types :

1. Favoriser la mixité : en sortant les collégiens du quartier, ils rencontreraient des collégiens d’autres classes sociales, ça ferait des classes plus faciles à gérer, avec une meilleure ambiance de travail.
2. Séparer les collégiens de leur familles : certaines familles du quartier surprotègent leurs enfants, elles harcèlent les profs dès qu’un prof fait une remarque sur le comportement de leur enfant. Éloigner les enfants du quartier permettrait de rendre ceux-ci plus autonomes et aux profs de travailler sans la pression des parents.

Le premier type d’argument ignore certaines réalités démographiques et politiques sur Grenoble. A très court terme (d’ici cinq ans), il pourrait manquer 1500 places dans les collèges de Grenoble. C’est en particulier dans les quartiers au nord de Grenoble (classes sociales aisées) que la situation est tendue ! Dans les quartiers sud (les défavorisés, en Éducation prioritaire), les collèges sont plutôt en sous-effectif par rapport aux effectifs théoriques (et c’est tant mieux, car de nombreux professionnels s’accordent pour dire que les collèges à plus de 400 élèves en REP, ça ne fonctionne pas).

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Logo des parents mobilisés pour le maintien du collège Lucie Aubrac au sein du quartier.

En fait, des parents d’élèves des quartiers nord, notamment le collectif « Écoles et collège de proximité », sont en lutte depuis 2015 contre Jean-Pierre Barbier, président du Conseil départemental de l’Isère, pour faire construire un nouveau collège sur Grenoble, qu’il refuse catégoriquement jusqu’à maintenant. Cette lutte est soutenue par l’actuelle municipalité de Grenoble. En effet, suite au baby-boom amorcé vers la fin de la décennie 2000-2010, il manquait des écoles primaires sur Grenoble (problème non anticipé par la municipalité Destot). L’équipe municipale actuelle (Fabien Malbet notamment) s’est fait en partie élire autour de cette problématique. Les enfants de cette génération vont arriver dans les prochaines années au collège.

En 2015, ces parents avaient analysé qu’il manquerait 750 places en collège sur Grenoble en 2022. Ce chiffre incluait les 700 places théoriques du collège Lucie Aubrac (voir la page du collectif Écoles et collège de proximité). Ce n’est donc certainement pas les collèges des quartiers nord qui vont accueillir les enfants de la Villeneuve ! Donc, si on sort les enfants du quartier, c’est pour les envoyer dans un autre collège défavorisé. Ça n’a tout simplement pas de sens. C’est pourtant exactement la solution prônée par Jean-Pierre Barbier : le collège Édouard Vaillant [à Saint-Martin-d’Hères, lui aussi classé en REP, ndlr] qui a bien des difficultés (voir par exemple, le vandalisme de la dernière rentrée). L’argument principal de Jean-Pierre Barbier a le mérite de la clarté : c’est la solution la moins chère, car ça économise un collège. Il occulte complètement les problèmes causés par l’entassement de 700 jeunes de deux quartiers défavorisés différents dans un même collège.

Une meilleure solution pour favoriser la mixité serait donc de développer des filières rares et attractives dans les collèges des quartiers sud. Le collège Lucie Aubrac est à la pointe de ce combat : il a monté une classe à horaires aménagés théâtre depuis cette rentrée. Nous ne pouvons donc que souscrire à la proposition du collectif « Écoles et collège de proximité » de délocaliser les sections du collège internationale dans les quartiers sud. Ça permettrait de gagner facilement un collège de secteur au nord, les collégiens dans les sections internationales étant quant à eux déjà désectorisés.

Examinons maintenant les autres raisons avancées pour éloigner les collégiens du quartier. Il existe probablement certaines familles du quartier qui surprotègent leurs enfants vis-à-vis de l’institution scolaire, ce qui peut par exemple les amener à tolérer des comportements inacceptables. Encore faudrait-il analyser en profondeur ce phénomène. Peur de la stigmatisation et des préjugés des enseignants qui ne sont pas de la même classe sociale ? Enseignants qui, de par leur fonction, ont une attitude paternaliste vis-à-vis des enfants, qui se déplace parfois sur leur famille, qui, elles, le vivent comme une survivance du colonialisme ? Malheureusement, l’urgence de la lutte empêche de conduire maintenant l’analyse de ce phénomène aux causes probablement très multiples.

En fait, cet inconvénient de la surprotection de certaines familles semble bien dérisoire à côté d’un autre problème des enseignants : les enfants qui ont beaucoup trop d’autonomie, c’est-à-dire les enfants livrés à eux-mêmes. En effet, les enfants les plus en difficultés sont souvent des enfants dont les familles, en proie à une très grande précarité, luttent littéralement pour leur survie quotidienne. Ces familles ont des préoccupations immédiates bien plus urgentes que le suivi scolaire et l’encadrement du comportement de leurs enfants (voir par exemple le témoignage de Véronique Decker, directrice d’école en Seine-Saint-Denis, à ce sujet).

De plus, dans notre quartier, il y a beaucoup de parents qui ont des difficultés à lire, voire à communiquer en français. Il est important de favoriser le contact direct, oral, de l’équipe éducative avec ces familles. Éloigner les collégiens du quartier ne peut que rendre cette communication plus compliquée. Les enfants de notre quartier, plus que d’autres, ont besoin d’être encadrés par de nombreux adultes.

Pour le maintien de ce collège sur le quartier

Je vais maintenant développer certains arguments de la pétition pour le maintien du collège sur le quartier. Tout d’abord, au point de vue pédagogique, le collège est au cœur du « Réseau d’éducation prioritaire renforcé » REP+. Cela signifie qu’il y a de profondes connexions entre les écoles primaires du réseau et le collège. Tout au long de l’année, des collégiens se déplacent dans les écoles ou réciproquement les écoliers se déplacent au collège pour échanger. Ces échanges prennent plusieurs formes : lectures ou récitations de poésie, pièces de théâtre, « défis maths » (résolution de petits problèmes mathématiques ludiques en équipe), « expo sciences », etc. Ces échanges sont structurant pour tous : les collégiens valorisent leurs acquis et les écoliers apprivoisent le futur qui les attend. Le collège est un haut-lieu de diverses formes de soutien scolaire, comme l’opération « École ouverte » qui s’adresse aux jeunes (collégiens et écoliers) pour renforcer les apprentissages fondamentaux pendant les vacances scolaires. Sur le quartier, cette opération se fait en partenariat avec des associations comme le centre de loisirs « La Cordée ». Les classes à option ou horaires aménagés théâtre bénéficie de la proximité du théâtre de quartier, « l’Espace 600 » et du conservatoire de Grenoble. Les collégiens bénéficient aussi de la proximité avec la magnifique bibliothèque de la galerie de l’Arlequin. Le collège a aussi un rôle moteur au niveau des activités périscolaires proposées aux collégiens : divers clubs du collège ont des partenariats avec des structures du quartier (club de go, webradio, etc). Par leur présence physique sur leur quartier et leur « aura » dans toutes ces activités, les adultes du collège sont indispensables à l’encadrement de nos jeunes, pour leur apprendre le respect des autres et de soi-même, les contraintes et les avantages de la vie en collectivité, les valeurs de la République « Liberté, égalité, fraternité ». En résumé, la proximité est essentielle pour maintenir ces nombreux liens du collège avec le quartier, patiemment tissés au fil des années par une équipe volontaire et dynamique.

Ensuite, d’un point de vue de l’aménagement urbain, le collège est le dernier équipement d’importance qui reste sur le quartier après la disparition de nombreux autres (piscine, gymnase, etc). Il est donc très important pour le tissu économique (commerces de proximité et lieux de restauration). La Villeneuve est une petite ville, qui a besoin de son collège. La création de nouveaux logements pas loin (Flaubert, ex-clinique du Mail) vont renforcer ce besoin. Mais, il est trop tôt pour discuter de la localisation précise du collège à reconstruire : cela dépendra déjà des rapports d’experts sur le collège détruit.

Dans l’immédiat, il faut maintenir l’unité du collège, l’équipe pédagogique qui a bâti tout ça et la continuité de ses projets. Il faut un relogement de proximité pour la rentrée 2017 qui permettra d’assurer sereinement la reconstruction. La meilleure solution provisoire est le bâtiment de l’ancien collège des Saules. Il y a urgence à réhabiliter ce bâtiment pour la rentrée 2017. Il y a aussi urgence à rassurer les familles qui s’inquiètent à juste titre : les inscriptions en 6e ont lieu cette semaine.

Signez et faîtes signer la pétition en ligne : https://www.change.org/p/conseil-d%C3%A9partemental-de-l-is%C3%A8re-maintien-du-coll%C3%A8ge-lucie-aubrac-%C3%A0-la-villeneuve