L’utopie envers et contre tout
Image extraite du film Villeneuve, l’utopie malgré tout, de Vincent Massot et Flore Viénot.

Mardi 13 octobre, les journalistes Vincent Massot, Flore Viénot et John Paul Lepers présentaient leur documentaire Villeneuve, l’utopie malgré tout, diffusé samedi 17 octobre sur Public Sénat, à 22 heures. Tourné sur l’espace d’un an, ce film veut donner un autre regard sur le quartier, loin du « ghetto » présenté par Villeneuve, le rêve brisé, le reportage d’Envoyé spécial diffusé en septembre 2013.

Flore Viénot et Vincent Massot, les deux réalisateurs de Villeneuve, l'utopie malgré tout, répondent aux questions des habitants sur la scène de l'Espace 600, mardi 13 octobre 2015 (photo : BB)

Flore Viénot et Vincent Massot, les deux réalisateurs de Villeneuve, l’utopie malgré tout, répondent aux questions des habitants sur la scène de l’Espace 600, mardi 13 octobre 2015 (photo : BB)

« S’il y a une chose que j’ai compris, c’est qu’on ne fait pas un film sur les habitants ou sur un quartier, mais qu’on fait un film avec les habitants. » Sur la scène de l’Espace 600, le théâtre de la Villeneuve, les journalistes Flore Viénot et Vincent Massot se prêtent au jeu des questions. Devant plus de 300 personnes, les deux réalisateurs du film viennent présenter le résultat d’un an et demi de travail, dont 60 jours de tournage. « Quand on a tourné ce film, on s’est engagé à venir le présenter ici, avant la diffusion télé [qui aura lieu samedi 17 octobre, ndlr]. », rappelle Vincent Massot.

Le Crieur a consacré deux articles à leur sujet, lors d’une rencontre avec les collégiens pendant une session de l’atelier d’initiation aux médias, assurés conjointement par le collège Lucie Aubrac et Le Crieur, et à l’occasion du lancement de leur socio-financement sur KissKissBankBank.

Une raisonnable utopie

Pauline Damiano, président de l'association des habitants de la crique sud. (image extraite du film Villeneuve, l'utopie malgré tout, réal. V. Massot et F. Viénot).

Pauline Damiano, président de l’association des habitants de la crique sud. (image extraite du film Villeneuve, l’utopie malgré tout, réal. V. Massot et F. Viénot).

Point de départ de leur démarche, la diffusion de Villeneuve, le rêve brisé, le reportage d’Envoyé spécial, en septembre 2013. La Villeneuve y est présentée comme un « ghetto » où règneraient « chômage, pauvreté, délinquance et violence ». Surtout, le reportage utilise des extraits d’Une raisonnable utopie, tout premier film tourné sur le quartier, en 1973, par Claude Massot, père de Vincent.

La diffusion de ce reportage conduit à une forte mobilisation d’habitants du quartier. Après une pétition et une collecte pour payer l’avocat, une plainte contre France Télévisions est déposée. C’est la première fois que des habitants d’un quartier populaire attaquent en diffamation une chaîne de télévision. Finalement, l’association d’habitants sera déboutée de sa plainte, en juin 2014. Mais diverses initiatives naîtront de cette mobilisation, dont Le Crieur de la Villeneuve, en octobre 2014.

Après procès

Le documentaire s’attache à retracer la mobilisation des habitants, surtout « l’après procès ». Avec cette interrogation : comment changer l’image d’un quartier à ce point stigmatisé ?

Vincent Massot et Flore Viénot suivent plusieurs personnes, en particulier Pauline Damiano, présidente de l’association des habitants de la crique sud, le collectif qui a porté la plainte contre France Télévisions. Le documentaire montre aussi des extraits du droit de réponse des habitants, refusé par France Télévisions mais tourné et publié par Le Crieur, à l’occasion du forum Médias et quartiers populaires, en novembre 2014.

Teddy Lukunku, acteur et réalisateur de Sparring partner. (image extraite du film Villeneuve, l'utopie malgré tout, réal. V. Massot et F. Viénot).

Teddy Lukunku, acteur et réalisateur de Sparring partner. (image extraite du film Villeneuve, l’utopie malgré tout, réal. V. Massot et F. Viénot).

Parmi les figures du quartier interrogées, Teddy Lukunku, acteur dans Guy Moquet. Ce court métrage tourné dans le quartier retrace les aventures amoureuses d’ados du quartier et a été présenté au festival de Cannes en  2014. Sparring partner, le nouveau film de Teddy Lunkunku, cette fois-ci derrière la caméra, a fait mardi la première partie de l’Utopie malgré tout.

L’utopie malgré tout est longuement applaudi par une salle, il est vrai, acquis à sa cause. Pourtant le pari n’était pas gagné d’avance. « Ça n’a pas été facile que vous nous ouvriez votre porte, on s’est confronté à une grande méfiance », témoigne Flore Viénot.

Pendant 52 minutes se dessine une autre Villeneuve que celle d’Envoyé spécial, avec son parc, son marché, mais aussi… ses détritus jetés par la fenêtre des immeubles. « Nous n’avons pas fait un contre-reportage à Envoyé spécial mais un autre produit. Nous n’avons pas travaillé dans les mêmes conditions, la journaliste d’Envoyé spécial n’a eu que trois semaines de tournage, nous 60 jours répartis sur un an et demi… », explique Flore Viénot, sur scène.

Envoyé spécial, l’éternel retour

Signe que le documentaire dérange, une menace de référé (interdiction de la diffusion du reportage) a été brandie par l’avocat de la réalisatrice du reportage d’Envoyé spécial. Le 9 octobre, la chaîne Public Sénat, qui doit diffuser le documentaire de Vincent Massot et Flore Viénot, reçoit un courrier de cet avocat qui « assigne la chaîne en référé pour interdire la diffusion de [notre] film, la Villeneuve, l’utopie malgré tout. L’utilisation d’extraits de l’Envoyé Spécial nuirait à l’intégrité de son film et à son droit moral sur son œuvre. », écrit Vincent Massot dans une lettre ouverte.

Vincent Massot raconte la genèse de son film aux collégiens de l'atelier initiation aux médias, au collège Lucie Aubrac. (photo : BB)

Vincent Massot raconte la genèse de son film aux collégiens de l’atelier initiation aux médias, au collège Lucie Aubrac. (photo : BB)

Dans une tribune publiée le 12 octobre sur LaTéléLibre (média pour lequel travaillent Vincent Massot et Flore Viénot), les deux journalistes, ainsi que John Paul Lepers, leur producteur, expliquent que « le référé, c’est à dire l’action en justice, n’a pas encore été déposé par l’avocat de la journaliste plaignante. Nous n’en sommes donc qu’à la menace de référé (envoyée à la chaîne [Public Sénat] la semaine dernière) pour interdire la diffusion. »

La journaliste fait jouer son droit moral : tout auteur d’œuvre peut s’opposer à la réutilisation de cette œuvre. Exception à cette règle, le droit de courte citation qui autorise l’utilisation d’une partie d’une œuvre pour « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. » (article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle).

Les deux réalisateurs de Villeneuve, l’utopie malgré tout justifient l’utilisation d’extraits du reportage d’Envoyé spécial par « le refus des auteur et producteur du reportage de s’exprimer dans notre film ».

Public Sénat maintient sa volonté de diffuser le documentaire samedi 17 octobre, à 22 heures. Contacté par Le Crieur, le directeur général de la chaîne n’a pas l’air inquiet. Il confirme que « des discussions sont en cours entre Public Sénat et les producteurs du reportage d’Envoyé spécial » et parle « d’une situation classique ».

Villeneuve, l’utopie malgré tout
Un film de Vincent Massot et Flore Viénot
Diffusion sur Public Sénat le samedi 17 octobre à 22 heures.
Rediffusions :
– dimanche 18 octobre à 9 heures ;
– samedi 24 octobre à 23 h 20 ;
– dimanche 25 octobre à 10 h 20 ;
– vendredi 30 octobre à 17 h 30.