Les jeunes comédiens des Petits Poids s’emparent de Molière
La Compagnie des Petits Poids, installée à la Villeneuve, répète Le Malade imaginaire, de Molière. (photo : BB)

Vendredi 2, samedi 3 et dimanche 4 octobre, la Compagnie Les Petits Poids jouait Le Malade imaginaire, de Molière,  dans le parc de la Villeneuve. Le succès a été au rendez-vous puisque près de 600 personnes ont assisté aux représentations. Le Crieur a rencontré les jeunes — et les moins jeunes — acteurs de la troupe lors des répétitions.

« Medicandi, Purgandi, Seignandi, Perçandi, Taillandi, Coupandi, Et occidendi ». Dans la salle de répétition située dans l’ancienne école des Charmes, les médecins masqués déclament du faux latin et simulent purge, saignée et coupure. Ici se préparent

Noémie (Angélique), Aïssa (intermèdes), XXX, Clara (Louison), Najlaa (intermèdes), Jérémie (Cléante et le notaire), Sohaïb (M. Diafoirus), Guillaume (intermèdes), Camille (intermèdes), Lula (Béline), Charline (intermèdes), Lia (intermèdes), Élise (Toinette). (photo : BB)

Noémie (Angélique), Aïssa (intermèdes), XXX, Clara (Louison), Najlaa (intermèdes), Jérémie (Cléante et le notaire), Sohaïb (M. Diafoirus), Guillaume (intermèdes), Camille (intermèdes), Lula (Béline), Charline (intermèdes), Lia (intermèdes), Élise (Toinette). (photo : BB)

les représentations du Malade imaginaire, l’ultime comédie de Molière. En majorité, les comédiens sont membres de la Compagnie Les Petits Poids, troupe de jeunes installée à la Villeneuve.

La pièce avait déjà été montée l’année dernière : « C’est une demande d’habitants de refaire la pièce. Et puis, la troupe avait beaucoup de motivation pour remonter la pièce. », explique Sophie Berckelaers, la metteuse en scène. Toute la troupe a accepté de rempiler avec enthousiasme, des nouveaux venant renforcer l’effectif. Certains ont gardé le même rôle, d’autres en ont changé. Ils enchaînent toutes les semaines les répétitions, en plus de stages de perfectionnement pendant les vacances.

Impressionnés, impressionnables

Ils sont accompagnés par deux comédiens professionnels — Henri Thomas et Lucas Bernardi — qui jouent les rôles clés d’Argan, le « malade imaginaire » et personnage principal, et de Béralde, son frère. « Ces rôles sont assez lourds », dit Lucas Bernardi, « les discours sur les médecins sont complexes, il ne faut pas être didactique. » Sophie Berckelaers revendique le fait de mêler comédiens pros et amateurs : « Le rôle d’Argan est trop lourd pour des jeunes. Même les meilleurs acteurs jeunes ne peuvent pas jouer ce rôle. »

Le fait de jouer avec des comédiens professionnels a un peu inquiété les « amateurs », au début. « On était un peu impressionnés mais après la première rencontre, ça s’est bien passé », explique Clara. Henri Thomas est du même avis : « Il ne fallait pas qu’on [les comédiens pros] arrive sur nos gros sabots, mais ils ne savaient pas eux-mêmes que nous étions impressionnés. Par exemple, la différence d’âge entre moi et Lula, qui joue le rôle ma femme, ce n’est pas évident, j’avais autant de gêne qu’elle… » Une gêne qui s’est estompée au fil des répétitions : « Maintenant, ce sont devenus des potes. Jouer avec eux, c’est un challenge qui nous permet de progresser. », dit Clara.

Intermèdes musicaux

Sophie Berckelaers dirige ses jeunes comédiens. (photo : BB)

Sophie Berckelaers dirige ses jeunes comédiens. (photo : BB)

Surtout qu’il faut avoir les épaules pour jouer ce poids-lourd du théâtre français. « C’est un classique mais très contemporain, qui parle de la médecine. », détaille Sophie Berckelaers. « Je suis interpellée par les problèmes actuels de la médecine, par exemple la psychose autour de la grippe A et l’achat de vaccins en masse. »

Le Malade imaginaire
Représentée la première fois en 1673, la comédie-ballet de Molière (1622-1673) raconte la vie d’Argan qui souffre d’une maladie imaginaire. Veuf, il est le jouet des médecins et de sa nouvelle femme, Béline, qui n’attend que sa mort. Il s’est mis en tête de déshériter ses filles et d’imposer à Angélique, l’aînée, un mariage qui la répugne, elle qui aime Cléante. Mais Toinette, la servante, et Béralde, le frère d’Argan, aidés d’une troupe de comédiens de passage, sont bien décidés à déjouer les plans d’Argan.
Pour l’anecdote historique : victime d’un malaise lors de la quatrième représentation de la pièce, Molière, qui jouait le rôle d’Argan, meurt quelques heures plus tard.
Une pièce accessible à tout le monde : « Le Malade imaginaire fait rire et réfléchir sur la détresse humaine et la capacité à surmonter ses peurs par l’humour. La pièce parle aussi des relations père – enfants, des relations de pouvoir, de la capacité à renverser son destin. C’est une des pièces les plus abouties de Molière. »

Particularité de cette mise en scène, les intermèdes musicaux, le plus souvent délaissés, sont joués, quitte à rallonger la pièce (2 h 30 quand même) : « C’est une comédie-ballet. Dans la pièce, il y a 150 danseurs et musiciens. C’est une hérésie de monter la pièce sans les intermèdes, car la catharsis se trouve dans ces intermèdes ». Des intermèdes qui comportent aussi des acrobaties, du jonglage et même des chevaux. La metteuse en scène s’en explique : « Les intermèdes mettent en scène le jeu de l’amour, c’est très délicat de jouer cela avec des ados. Les chevaux autorisent une mise à distance du jeu et permettent de comprendre très vite le rapport au corps de l’autre. »

« Grosse organisation »

Jonglage et acrobaties ponctuent les intermèdes. (photo : BB)

Jonglage et acrobaties ponctuent les intermèdes. (photo : BB)

Difficulté supplémentaire, la pièce est jouée en extérieur, en plein milieu du parc de la Villeneuve, ce « beau lieu végétalisé », selon Sophie Berckelaers. Les comédiens en gardent un « excellent souvenir », malgré les conditions climatiques parfois difficiles l’an passé : « Le dimanche, on a dû improviser, migrer dans la forêt. », commence Noémie. « Les spectateurs étaient tout autour de nous, certains étaient même dans les arbres, mais ils avaient adoré. », poursuit Lula. « On a 200 m² de plateau, en comptant la scène et les spectateurs. En plus, il faut gérer l’arrivée des badauds. Ça demande une grosse organisation », témoigne Sophie Berckelaers.

La Compagnie Les Petits Poids
Créée en 1989, la Compagnie Les Petits Poids est une troupe d’une vingtaine de jeunes comédiens, dépendante de la compagnie La Marmite, née en 1987. L’idée de la troupe a germé chez Sophie Berckelaers lors de son passage à la protection judiciaire de la jeunesse. Son principe fondateur est « l’échange et la mixité des milieux socio-culturels ». Depuis sept ans, la compagnie est installée à la Villeneuve, dans l’ancienne école des Charmes : « On a une convention avec la ville de Grenoble : c’est d’être proche des habitants et faire prioritairement des actions dans le quartier. », explique la metteuse en scène.
La moitié de la troupe est originaire du quartier et connaît bien les lieux. Pourtant, au départ, « beaucoup de jeunes ne voulaient pas venir à la Villeneuve. Le

Les effectifs de la troupe tournent autour d'une quinzaine de jeunes comédiens. (photo : BB)

Les effectifs de la troupe tournent autour d’une vingtaine de jeunes comédiens. (photo : BB)

théâtre c’est trop différent de la culture de masse des ados, de la télévision. », témoigne Sophie Berckelaers. Les jeunes comédiens doivent parfois faire face à l’anti-intellectualisme de certains de leurs amis : « Certains me disent que le théâtre, c’est un truc saoulant. Je leur dis que non. », raconte Sohaïb. « La pièce effraie les gens à cause de sa durée », poursuit-il, « mais ils sont souvent étonnés des conditions dans lesquelles on joue, en extérieur, avec des chevaux… » « En fait, les gens sont plutôt impressionnés quand ils savent ce que l’on fait », conclut Jérémie. Le succès des représentations, qui ont rassemblé près de 200 spectateurs par jour, atteste que ces jeunes comédiens ont déjà tout des pros.

Extrait du Malade imaginaire, de Molière, par la Compagnie Les Petits Poids / Compagnie La Marmite, mise en scène Sophie Berckelaers, 2014 :