Les associations des quartiers populaires veulent se faire entendre
Assemblée générale de création de l’association « Coordination nationale – Pas sans nous ». (crédits : Coordination nationale – Pas sans nous)

Lancée en septembre, la « Coordination nationale – Pas sans nous » rassemble des militants associatifs de différents quartiers populaires de France. Le Crieur a rencontré Jouda Bardi qui en est la déléguée pour la région. Objectifs du mouvement : mobiliser les habitants pour qu’ils prennent part aux décisions qui les concernent.

Les habitants des quartiers populaires se mobilisent et ils n’entendent pas se laisser confisquer leur parole. Créée en septembre dernier, l’association Coordination nationale – Pas sans nous veut « réintroduire une forme d’engagement dans les quartiers populaires », selon les termes de Jouda Bardi, une des deux déléguées pour la région Rhône-Alpes du collectif et médiatrice à la Régie de quartier Villeneuve – Village Olympique, « laisser plus de place aux habitants, leur donner plus envie de participer ».

Syndicat des quartiers populaires

Affiche appelant à l'assemblée générale de création de la Coordination nationale - Pas sans nous.

Affiche appelant à l’assemblée générale de création de la Coordination nationale – Pas sans nous. (crédits : Coordination nationale – Pas sans nous)

Le collectif a pour vocation d’être « un espace de ressource et d’appui » au travail des associations dans les quartiers populaires. Selon Jouda Bardi, elle permet de « fédérer les quartiers pour porter plus facilement certaines thématiques, comme l’éducation par exemple. » Surtout, le collectif porte l’idée de co-construction. L’idée que les habitants doivent être associés aux prises de décision qui les concernent : « C’est aux citoyens de s’approprier les instances. Ce sont eux qui apportent l’expertise d’usage. » Les membres de la Coordination n’hésitent pas à parler de fédération des quartiers populaires, voire de syndicat des quartiers populaires.

« On a un fort besoin d’une instance reconnue à l’échelon national, pour être un interlocuteur crédible », explique Jouda Bardi, « mais aussi un fort besoin de l’échelon local, pour faire remonter les idées et peser sur les décisions locales. »

Pour Jouda Bardi, les habitants doivent « comprendre le pouvoir d’agir » : comprendre qu’ils ont les moyens de prendre les décisions qui les concernent. « À La Villeneuve, la destruction du 50 est symptomatique. Elle était importante pour certains, c’était un gaspillage pour d’autres, à un moment où il est difficile de se loger. Mais quoi qu’il en soit, la décision avait été prise depuis longtemps par la mairie, les habitants avaient juste été consultés »

Aux origines, le rapport Mechmache-Bacqué

Le mouvement tire ses origines du rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville », plus souvent appelé « rapport Mechmache-Bacqué », du nom de ses deux principaux rédacteurs (voir encadré).

Pour appuyer les propositions du rapport, des militants associatifs ayant participé à son écriture forment un embryon de mouvement, en février 2014. « Le but était de créer un réseau, une vraie force pour faire valoir notre voix », explique Jouda Bardi. Les prémices de la coordination nationale qui mettra de longs mois avant de trouver sa forme.

L’assemblée générale des 6 et 7 septembre, à Nantes, entérine la création de l’association, désormais appelée Coordination nationale – Pas sans nous, forte de 200 membres originaires de toute la France. « Au niveau des quartiers, il y a déjà eu des mouvements créés, comme le FQSP (1), mais c’est la première fois que ça monte si haut, qu’on est un véritable interlocuteur. »

À Grenoble, la coordination nationale rassemble pour le moment une centaine de personnes et plusieurs associations, comme l’Association des Congolais de France, Villeneuve Debout, Planning et surtout l’Alliance citoyenne (qui regroupe elle-même une quarantaine d’organisations). Mais ce n’est que le début pour Jouda Darbi : « Nous devons rassembler au-delà. Nous ouvrir à ceux qui n’ont pas l’habitude de prendre la parole. Plus on est gros, plus on est fort ». Même si elle reconnaît que la tâche est ardue : « Certains ont peur de la co-construction, ils restent attachés à la représentation car ils estiment qu’ils n’ont pas les compétences pour donner leur avis. »

Un rapport peu suivi d’effets

En janvier 2013, François Lamy, le ministre délégué à la Ville, demande à Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué un rapport sur les politiques publiques de la ville. Le premier est connu pour avoir créé l’association AC le feu suite aux révoltes sociales dans les quartiers populaires en 2005, la seconde est sociologue. Les deux sillonnent alors les quartiers populaires pendant plusieurs mois à la rencontre des militants associatifs.

Leur rapport est finalement remis le 13 juillet 2013. Il avance 30 propositions pour « réformer radicalement la politique de la ville », de la représentation des citoyens dans les instances de décision au changement d’image des quartiers populaires dans les médias. En préalable, les auteurs du rapport préconisent d’accorder le droit de vote des étrangers aux élections locales. Du rapport, seule l’idée des conseils citoyens a, pour l’instant, été reprise.

« Pas sans nous »… sans récupération politique

La coordination nationale a été bien accueillie par les élus. Myriam El Khomri, la secrétaire d’État chargée de la Politique de la ville, et Johanna Rolland, la maire de Nantes, étaient présentes lors de la réunion de constitution de la coordination nationale, à Nantes. Au niveau grenoblois, le maire fraîchement élu Éric Piolle, a assisté à une réunion de la coordination en juin, à La Villeneuve.

Jouda Bardi est une des deux déléguées régionales de la "Coordination nationale - Pas sans nous".

Jouda Bardi est une des deux déléguées régionales de la « Coordination nationale – Pas sans nous ». (crédits : Benjamin Bultel, Le Crieur de la Villeneuve)

Malgré cette reconnaissance des élus, le mouvement né de cette mobilisation veille à garder son indépendance vis-à-vis des partis politiques et des pouvoirs public. L’exemple de SOS Racisme, association de lutte contre le racisme fondée – entre autres – par des membres du Parti socialiste, rappelle que la récupération politicienne des mouvements nés dans les quartiers populaires existe depuis plus de 30 ans. Pour pallier ce problème, la charte du mouvement interdit le cumul d’un poste au sein du bureau de l’association avec un mandat exécutif.

Des conseils citoyens en construction

À la déception des nombreux militants associatifs qui s’étaient impliqués dans la rédaction du rapport, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, promulguée le 21 février 2014, ne reprend du rapport Mechmache-Bacqué que l’idée de conseils citoyens pour la co-construction.

La loi n’oblige les municipalités à ne mettre en place ces conseils que dans les quartiers dits « prioritaires », dont, à Grenoble, La Villeneuve. Pourtant, la mairie de Grenoble a décidé d’étendre le dispositif à l’ensemble de la commune. La première réunion de concertation pour définir le cadre et l’action des futurs conseils citoyens a eu lieu le 27 septembre. D’autres doivent suivre jusqu’au lancement effectif des conseils, prévu pour le printemps 2015.

Alors que la coordination nationale a participé à l’élaboration de ces conseils, à Grenoble, aucun de ses membres n’a été contacté : « La coordination nationale, à Grenoble, n’a pas été consultée alors que [le conseil municipal] savait qu’on existait », regrette Jouda Bardi. Surtout, « on s’interroge sur le pouvoir de ces futurs conseils citoyens, sachant que les contrats de ville seront négociés avant la mise en place des conseils », détaille la médiatrice. La co-construction, ce n’est pas encore pour tout de suite.

Mise à jour du 4 novembre : rajout de l’Alliance citoyenne parmi les participants de la Coordination.


(1) Le Forum social des quartiers populaires (FSQP) était un réseau d’associations et un collectif de réflexion et de convergence des luttes locales dans les quartiers populaires. Après trois sommets, en 2007, 2008 et 2009, le collectif s’est mué en parti politique.