L’aspiration des déchets, c’était pas la panacée
La centrale de collecte éolienne des déchets, désaffectée, à l’angle de la rue des trois quartiers et de la rue Dodero. (photo : BB, Le Crieur de la Villeneuve)

De 1972 à 2015, la collecte des déchets s’est faite grâce à un système par aspiration. Ses multiples dysfonctionnements n’en faisaient pas le procédé parfait. Depuis, les très classiques containers l’ont remplacé.

Villeneuve, un soir, au 90 galerie de l’Arlequin. Un sac poubelle tombe d’une fenêtre. En bas, un homme crie : « Respectez-le, votre quartier ! Bande de tartuffes ! Ils ont mis des poubelles en bas, descendez-les. » Les containers de tri, installés depuis la fin 2015 ne doivent pas faire oublier que fut un temps, il n’était pas nécessaire de descendre ses poubelles : elles étaient aspirées.

Dès la création du quartier, élus et urbanistes décident de mettre en place un système, original pour l’époque, d’aspiration des déchets. En 1970, une étude du SCET-Béture, un cabinet public d’études, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, en lien avec l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA, groupement d’architectes et d’urbanistes de la Villeneuve) et la Société eau et assainissement (SOCEA), entreprise titulaire d’une licence d’un brevet de la société suédoise Centralsug, compare les systèmes « pneumatique et traditionnel ».

Le premier est un poil plus cher que le second, mais il est jugé plus pratique. Surtout, il s’accorde avec les idées novatrices du quartier : tout à proximité et pas de circulation automobile.

Concrètement, les vide-ordures installés dans chaque appartement sont reliés à des collecteurs, sortes de tuyaux le plus souvent enterrés. Les différents collecteurs se réunissent, en sous-sol, et sont connecté à une centrale d’aspiration, un gigantesque aspirateur appelé silo cyclone. Les déchets, mis dans des containers, sont envoyés dans les déchetteries. Le réseau s’étend sur près de six kilomètres avec deux grandes branches : une vers le nord de l’Arlequin, l’autre vers la place des Géants. La centrale existe toujours, au nord de l’ancienne clinique du Mail.

Courrier de la société Socea attestant de la mise en service du système de collecte le 28 avril 1972. (archives municipales de Grenoble)

Courrier de la société Socea attestant de la mise en service du système de collecte le 28 avril 1972. (doucment : archives municipales de Grenoble)

Le 28 avril 1972, la collecte éolienne est mise en route. Les habitants arrivent en mai.

Novateur, le système a rapidement montré ses limites. « Dès 1975, des containers de 1100 tonnes, en acier pour éviter qu’ils ne brûlent, ont été mis en place » pour ramasser les gros déchets, raconte Alain Gorgo, retraité qui a travaillé de 1999 à 2012 au service des déchets urbains, d’abord à la mairie puis à la Métro. Un document d’époque du « service d’exploitation de la Villeneuve » espère que la mise en place de ces containers « permettra enfin d’éliminer le spectacle parfois désolant offert aux usagers de la Galerie [de l’Arlequin] par la présence de gros déchets dans les circulations. » Le problème des déchets abandonnés en bas des montées ne date pas d’hier.

« Puis des locaux-broyeurs ont été mis en place, huit ou dix après le lancement du ramassage éolien. Les gens déposaient les poubelles dans ces locaux, grâce à des trappes. » Au début, ces locaux-broyeurs hébergent des containers, régulièrement ramassés, avant qu’ils ne soient reliés au système d’aspiration. « Des employés faisaient la tournée par équipe de deux : ils entraient dans les locaux, chargeaient les sacs à la chaîne dans les broyeurs et les déchets étaient directement aspirés. », se souvient Alain Gorgo.

Quand il commence à superviser la collecte éolienne, il trouve, de son avis, « qu’elle avait du plomb dans l’aile » : « Déjà, il y avait un gros travail d’entretien normal. Mais en plus s’ajoutaient les travaux dus au vieillissement du collecteur et ceux dus à la mauvaise utilisation. » Qui  n’est pas forcément de la faute des habitants : « Il faut se dire que les déchets ont énormément augmenté et évolué entre 1970 et 2015, il y a beaucoup plus d’emballages. Le système a été conçu pour les déchets alimentaires, les épluchures. »

« On retrouvait de tout »

Tract annonçant la mise en place de containers pour ramasser les déchets (non-daté, sans doute en 1975, archives municipales de Grenoble)

Tract annonçant la mise en place de containers pour ramasser les déchets (non-daté, sans doute en 1975, document : archives municipales de Grenoble)

Nombre d’habitants avaient pourtant pris la mauvaise habitude de jeter tout et n’importe quoi dans les vide-ordures. « On retrouvait de tout, des micro-ondes, des calandres de voiture, des sapins, des peaux de mouton, même des chats, c’était dégoûtant. Les gens arrosaient les bouches pour contrer l’odeur, ça créait de l’humidité. Il y avait aussi des choses choses dangereuses, comme des produits chimiques, ça créait des nappes de gaz et ça rendait les interventions difficiles et risquées. » Quand le système s’obstrue, il faut en effet envoyer un technicien dans les tuyaux de 50 cm de diamètre pour le déboucher.

Manœuvre souvent compliquée à mettre en place : « Nous étions obligés de découper puis de ressouder les tuyaux. Quand ils étaient enterrés, on devait creuser, des fois sous une route. La partie la plus ancienne était la plus facile à entretenir : le collecteur passait dans la galerie de l’Arlequin. »

Au quotidien, le fonctionnement de la collecte éolienne est chaotique. « À la fin, s’il y avait un jour sans intervention dans les collecteurs, c’était exceptionnel ! Il y avait toujours quelque chose qui ne marchait pas… » À partir de 2003 ou 2004, le système est en « pré-abandon » : « l’école d’architecture et la bourse du travail ont été les premiers bâtiments à être détachés du réseau. Puis, partout où il y avait des réhabilitations, par exemple à Constantine, on supprimait les collecteurs. », explique Alain Gorgo.

En avril 2006, le cabinet Girus, missionné par la ville de Grenoble, étudie la mise en place d’un ramassage classique sur le quartier. L’Union de quartier Villeneuve 1 organise une rencontre avec un représentant de la société suédoise Envac (ex-Centralsug) pour étudier la rénovation du système éolien et surtout son coût.

Schéma de fonctionnement de la centrale d'aspiration des déchets, dans une plaquette de communication éditée par la la ville (1973, archives municipales de Grenoble)

Schéma de fonctionnement de la centrale d’aspiration des déchets, dans une plaquette de communication éditée par la la ville (1973, document : archives municipales de Grenoble)

Un autre cabinet d’études, Apertise Conseil, lui aussi missionné par la ville, rédige un diagnostic sur la gestion des déchets et de la propreté sur le quartier en juillet 2008. Il écrit : « De l’avis d’une grande majorité des acteurs rencontrés, le système de collecte éolienne est un système adapté à la particularité de l’urbanisme et de l’architecture du quartier. Le manque d’accès pour les véhicules lourds, la quantité de containers à envisager au regard du nombre d’habitants par allée (15 étages à certaines adresses + coursives) et la problématique des incendies volontaires laissent difficilement envisager un autre mode de collecte.
« Pour autant, beaucoup pensent que le système nécessiterait une importante réhabilitation et un entretien plus régulier assorti d’une modernisation qui permettrait d’inclure le tri sélectif. »

Du côté des habitants, une partie reste attachée au ramassage éolien, jugé plus pratique. Une autre souhaite la disparition de ces « repères à cafards et aux mauvaises odeurs », selon un habitant.

Lors de leurs conseils d’avril 2011, la mairie et la Métro votent la fin de la collecte éolienne. Dans les faits, la décision semble avoir été prise avant. « Une partie des élus voulaient abandonner le système. Avec le temps, les esprits ont convergé vers l’arrêt. On a travaillé sur la fin du système dès 2006-2007, en 2010-2011, ça a été annoncé aux gens. », explique Alain Gorgo. Avant d’ajouter, un brin désabusé : « On s’est peut-être endormi sur un système qui fonctionnait au départ… »

Superposition de la Villeneuve actuelle et d'un plan d'étude du système de collecte éolienne de 1969. Le système finalement construit sera légèrement différent (photos : archives municipales de Grenoble et Google Earth)

Superposition de la Villeneuve actuelle et d’un plan d’étude du système de collecte éolienne de 1969. Le système finalement construit sera légèrement différent (photos : archives municipales de Grenoble et Google Earth) Cliquer pour accéder à l’animation.