« Je me sens marginalisée »
Image extraite du film Un racisme à peine voilé, lors de la manifestation pour la journée des femmes du 6 mars 2004.

Comment s’exprimer sur le racisme dont sont victimes les femmes qui portent le voile ? Des femmes se sont emparées du sujet, autour de la diffusion d’un film.

Le vendredi 6 janvier, salle 150, l’association Mme Ruetabaga a invité des femmes — oui, un événement non mixte ! — à participer à la projection du film Un racisme à peine voilé, de Jérôme Host. Cette proposition fait suite à des discussions lors des ateliers de rue sur le rôle des femmes et leurs libertés dans la famille et dans l’espace public.

Onze femmes étaient présentes. Chez Mme Ruetabaga, l’idée a émergé car « durant les ateliers de rue beaucoup de femmes sortent pour qu’on se retrouve ensemble. Nous aimons cette habitude de pouvoir s’exprimer comme bon nous semble, parfois en petit comité comme cet après-midi-là, afin de partager nos vies et nos tracas, tout en changeant du quotidien. Autour d’un thé et de gâteaux, nous avons eu de véritables réflexions politiques. »

Le documentaire

Un racisme à peine voilé est sorti en France en 2004, au moment de l’adoption de la loi qui encadre l’application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Le documentaire met en perspectives les questions et problèmes que font régulièrement naître les manifestations publiques ou visibles de la foi et des sentiments religieux musulmans.

Les propos de lycéennes, de sociologues, nous invitent à un débat critique qui revient sur l’adoption par la majorité (UMP) de l’époque, et le renfort d’une très large partie de l’opposition, de la loi du 15 mars 2004. Cette loi encadre l’application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Selon le producteur, quelque semaines après sa sortie, le film s’était déjà vu menacer ou interdire de diffusion dans plusieurs villes comme Strasbourg, Rennes, Mulhouse, Sarcelles.

Plusieurs affaires d’exclusion

« Octobre 2003 : Alma et Lila Levy sont exclues du Lycée Henri Wallon d’Aubervilliers pour le seul motif qu’elles portent un foulard. S’en est suivi un débat politique et médiatique assourdissant, justifiant dans la plupart des cas l’exclusion des jeunes filles qui portent le foulard à l’école. Février 2004, une loi finit par être votée par l’Assemblée nationale, à la demande de Chirac… », telle est la présentation que fait Jérôme Host, le réalisateur, de son film.

« Un racisme à peine voilé revient sur cette polémique depuis l’affaire de Creil en 1989 (où deux collégiennes avaient été exclues pour les mêmes raisons) et tente de « dévoiler » ce qui se cache réellement derrière la volonté d’exclure. », continue-t-il.

Dans ce film la parole est donnée aux concernées, donc les personnes voilées, et à leur entourage : amis, famille, ainsi qu’à différentes personnes des mondes associatif et universitaire.

Propos extraits du film

  • « On nous parle de l’Afghanistan, de l’Algérie… […], on nous montrait pas nous, on nous donnait pas la parole. On entendait cet écrivain iranien parler de l’Iran. Mais ça n’a rien à voir avec nous : je suis citoyenne française ! »
  • « Depuis que je suis petite, on ne m’a jamais considérée comme une française à part entière »
  • « [L’intégration] c’est un certificat de bon indigène ! »
  • « Si on veut lutter contre l’intégrisme, on mène une politique contre les groupes intégristes, et pas contre des gamines de 15 ans… »
  • « […] Des symboles, il y en a à la pelle, et celui-là (le voile,ndlr) ne me dérange pas plus que les autres. […]. Ce qui nous dérange vraiment c’est d’être payées 25% de moins que les hommes, de se taper 80% du travail domestique, c’est d’être achetées et vendues comme des marchandises, c’est d’être battues, c’est d’être tuées… »
  • « On a placé le débat de façon tellement abstrait, qu’on a le sentiment de combattre des foulards et non pas des gens derrière… »

Les réactions

Vingt minutes avant la fin du documentaire, le groupe a décidé de garder le temps pour débattre de ce qui a été ressenti par rapport à cette loi et ce qui se vie dans le quotidien. Plusieurs personnes ont pris la parole.

L’une témoigne de ses difficultés à trouver du travail. Une fois embauchée pour des ménages, son patron voulait qu’elle enlève le voile. Même volontaire pour mettre un bandeau, elle sentait encore de la gène et a été sous pression pour quitter son travail.

Une autre raconte que les regards qu’elle croise dans la rue, surtout en centre ville et dans les parcs, lui font sentir qu’elle n’est pas la bienvenue en portant le voile. Une autre femme rajoute que c’est pareil pour elle alors qu’elle est née en France. C’est comme si on l’empêchait de se sentir chez elle : « Moi Française née en France je ne me sens plus dans mon pays car on ne m’accepte pas comme je suis. Je me sens en quelle que sorte marginalisée car on ne nous accepte nulle part avec notre voile. »

Pour une autre femme, diplômée bac +4 de sciences économiques et sociales en Algérie, « voilà la réalité : mon diplôme est caché au placard à force d’être éconduite des entretiens d’embauche. »

Ces constats de racisme se partagent en partie, parfois sous d’autres formes, pour les hommes, les maris, les enfants qui grandissent. Les paroles dépassent le sujet du voile pour envisager l’acceptation de l’autre et le sentiment d’être chez soi.

Pendant l’échange, une des femmes a demandé à quelle date les femmes avaient ressenti des changements concernant leur port du voile. La date des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ressort souvent, mais certaines évoquent aussi les années 1990, sur le quartier de Villeneuve.

Y a-t-il vraiment une augmentation du nombre de voiles par rapport à avant ? Les femmes réfléchissent aux différentes façons de le porter et aux autres origines (comme un foulard russe). Elles échangent sur les croyances et sur l’influence des vidéos sur certaines qui n’ont rien à voir avec la spiritualité et le cœur.

Une réflexion de groupe s’est installée, sans peur d’exprimer sa pensée, même si tout le monde n’était pas d’accord. D’autres projections et d’autres thèmes pourront suivre selon les propositions des participantes. L’association Mme Ruetabaga appelle à en parler lors des ateliers de rue, qu’elle tient les vendredis et samedis après-midi.